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la premiere pierre au mauvais goût? Mais il est bien malheureux et bien mal-adroit de parler de vers

Enflés de vent et vides de raison,

en même tems qu'on en donne l'exemple. Prenons - en un tout contraire dans un grand poëte que Rousseau, aveuglé par la haine, attaquait dans cette épître, et voulait particuliérement désigner. La Henriade va nous offrir un modele de ces métaphores continuées qui forment l'allégorie : elle est soutenue pendant dix vers sans la moindre apparence d'effort ni le moindre défaut de justesse ; mérite en ce moment le plus remarquable pour nous, indépendamment de tous les autres. Il fallait peindre Henri III (à l'instant où la Ligue commence à éclater contre lui) faisant un effort pas'sager pour sortir de son indolence, mais démêlant mal ses intérêts, apercevant à peine ses dangers, et bientôt oubliant tout pour se replonger dans le sein des plaisirs et de la mollesse. Voilà le propre : voici le figuré.

*Henri se réveilla du sein de son ivresse:

Ce bruit, cet appareil, ce danger qui le presse,
Ouvrirent un moment ses yeux, appesantis.
Mais du jour importun ses regards éblouis
Ne distinguerent point, au fort de la tempête,
Les foudres menaçans qui grondaient sur sa tête;

Et bientôt fatigué d'un moment de réveil,
Las et se rejetant dans les bras du sommeil,
Entre ses favoris et parmi les délices,

Tranquille, il s'endormit au bord des précipices.

Le tableau est achevé : et comme toutes les couleurs en sont graduées! Comme les nuances sont bien marquées! Cette césure qui coupe le vers à la premiere syllabe, las―et se rejetant, c'est la faiblesse accablée qui retombe. Et dans le dernier vers, cette césure à la troisieme syllabe, tranquille, — il s'endormit, c'est l'indolence qui s'endort. Voilà pour ce qui regarde l'usage de l'allégorie dans le discours. Quant à l'abus, observons que plus il y a de mérite à soutenir cette figure dans une étendue raisonnable, plus il y a de mal-adresse à la prolonger au-delà des bornes. Il y a dans certains livres de nos jours des exemples d'une continuation de la même métaphore pendant quatre pages; c'est alors un jeu d'esprit aussi ridicule qu'insipide, et que les sots prennent pour de l'imagination.

Nous donnons un sens plus étendu à l'allégorie quand nous appelons de ce nom une fiction poétique, où des êtres moraux sont personnifiés, comme le temple de l'Amour dans la Henriade, l'épisode de la Mollesse dans le Lutrin, et tant d'autres. Il y a aussi d'autres allégories plus courtes et renfermées dans un petit nombre de vers, qui forment

une variété agréable dans la poésie morale ou didactique. Tels sont ces vers de Voltaire dans le Discours sur la Modération:

Jadis trop caressé des mains de la Mollesse,
Le Plaisir s'endormit au sein de la Paresse.

La Langueur l'accablait ; plus de chant, plus de vers,
Plus d'amour, et l'Ennui détruisait l'Univers.
Un dieu qui prit pitié de la nature humaine,
Mit auprès du Plaisir le Travail et la Peine,
La Crainte l'éveilla, l'Espoir guida ses pas :
Ce cortége aujourd'hui l'accompagne ici bas.

Lemierre a très-bien caractérisé l'allégorie dans ce vers de son poëme de la Peinture :

L'Allégorie habite un palais diaphane.

Et dans le même poëme, il en fait un très-bel usage, en traçant le portrait allégorique de l'Igno

rance.

Il est une stupide et lourde déité,

Le Tmolus autrefois fut par elle habité.

L'Ignorance est son nom : la Paresse pesante

L'enfanta sans douleur aux bords d'une eau dormante.
Le Hasard l'accompagne et l'Erreur la conduit:

De faux

pas.en faux pas,

la Sottite la suit.

Les anciens hiéroglyphes des Égyptiens, des Scythes et de quelques autres peuples de l'Asie étaient des especes d'allégories qui parlaient aux

les

yeux, mais moins claires et moins ingénieuses, à en juger par ce que nous en connaissons, que fables emblématiques des Grecs, dont notre poésie moderne s'est enrichie. Quand le roi des Perses, Darius Ier, dans son expédition contre les Scythes, se fut engagé témérairement dans leurs vastes solitudes, où il perdit une grande partie de son armée, ils lui envoyerent un ambassadeur, qui, sans lui rien dire, lui présenta de leur part cinq fleches, un oiseau, une souris, une grenouille, et se retira. Il fut question de savoir ce que signifiait cette ambassade énigmatique. Un Persan qui avait quelque connaissance du caractere et du langage de ce peuple, expliqua ainsi leurs présens : « A moins » que vous ne puissiez voler dans les airs comme » les oiseaux ou vous cacher sous la terre com» me les souris, ou dans les eaux comme les grenouilles, vous n'échapperez pas aux fleches des Scythes. » Il se trouva qu'il avait bien deviné. Mais Darius avait interprété cet emblême d'une maniere toute différente, et pourtant tout aussi plausible. Il prétendait que c'était un témoignage de la soumission des Scythes, qui lui faisaient hommage des animaux nourris dans les trois élémens, et lui abandonnaient leurs armes. C'est une mauvaise allégorie, que celle qui n'a qu'une intention et qui en offre deux. C'est par la même raison que

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les apologues, qui sont encore une autre espece d'allégorie, doivent avoir un sens unique et clair. Dans tout ce qui a pour objet de laisser apercevoir une vérité voilée, on doit faire en sorte que le voile ne la cache pas, mais laisse seulement le plaisir de l'entrevoir. Le masque de la comédie doit être ressemblant, sans charge et sans grimace, et le voile de l'allégorie doit être artistement tissu, mais transparent.

On connaît le trait de Tarquin-le - Superbe, lorsque son fils, tout puissant dans la ville de Gabie, lui envoya demander ce qu'il devait faire. Tarquin, qui se promenait dans son jardin, se mit à abattre les têtes des pavots avec une baguette qu'il tenait à la main, et renvoya le député sans autre réponse c'était une allégorie muette. Le fils l'entendit comme il convenait à un homme élevé par un tyran, et trouva moyen de faire périr les principaux des Gabiens, pour livrer la ville à son pere.

Nous voilà un peu loin des figures de rhétorique; mais tous ces faits de différente nature servent à prouver que les principes des arts sont soumis à la même logique et à la même loi des rapports, qui sert à expliquer les actions humaines et à en faire. connaître les ressorts; et c'est pour cela que la rhétorique du penseur Aristote, qui écrivait

pour

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