Imagens da página
PDF
ePub

la parole aux spectateurs. On voit aussi, par ce morceau, que l'auteur se louait lui-même avec aussi

peu

de retenue, qu'il censurait les autres; et ce n'est pas d'aujourd'hui que que les faiseurs de libelles répetent sans cesse les mots d'honnêteté et de vertu, en outrageant sans cesse l'une et l'autre. Ce n'est pas qu'Aristophane eût tort en tout : il a cela de commun avec tous les satyriques de profession, que chez lui. quelques hommes sans mérite se trouvent attaqués. en même tems que les honnêtes gens. Cléon est peint dans l'histoire, à peu près comme il l'est ici, au courage près et à l'éloquence, dont il ne manquait pas ; mais Lamachus, qu'on ne traite pas mieux, était un habile capitaine qui servit très-bien la patrie, et fut tué en combattant pour elle. Il s'était raccommodé avec le poëte, qui le loua dans la suite, autant qu'il l'avait dénigré; sorte de contradiction qui n'embarrasse pas les gens de ce métier. Pour ce qui est d'Euripide, non-seulement il le fait revenir à tout moment dans ses pieces, mais il en fit deux exprès contre lui: Les Fêtes de Cérès et Les Grenouilles. Il fallait qu'il fût terriblement acharné contre ce tragique; et les haines littéraires étaient apparemment comme celles d'aujourd'hui, qui vont jusqu'à la rage et jusqu'au délire. J'en ai dit la raison, telle que les historiens la rapportent : c'est qu'Euripide l'avait méprisé ; et le mépris, surtout quand il est

fondé, fait à l'amour-propre une blessure qui ne se ferme jamais. Mais de quelles armes Aristophane se sert contre Euripide! des plus froides railleries, des plus brutales injures, des plus maladroites critiques. Il parodie les plus belles scenes, entr'autres celle de l'égarement de Phedre. N'est-ce pas bien prendre son champ? Il lui reproche sa naissance: bassesse inexcusable. Il l'accuse d'impiété : calomnie odieuse. Il le peint comme un homme adroit et rusé, tout rempli d'artifice, tout occupé de menées sourdes, se faisant un parti dans la plus vile populace ; et c'était un homme simple et retiré vivant dans son cabinet ou avec quelques philosophes ses amis. Il faut pourtant donner un échantillon des plaisanteries d'Aristophane contre le rival de Sophocle. Ce même Dicaopolis dont je viens de parler, veut haranguer le peuple, sous l'habit d'un mendiant, pour inspirer plus de pitié. Il frappe à la porte d'Euripide, et tout le sel de la scene que vous allez entendre, consiste à railler le poëte sur ce qu'il introduit dans ses tragédies des personnages revêtus de haillons, comme Edipe à Colonne, qui n'en est pas moins tragique; Telephe, Thyeste, que nous avons perdus, et d'autres.

Dicaopolis. Euripide y est-il? Céphisophon, valet d'Euripide. Il y est, et il n'y est pas. Entendez» yous? Dic. Comment? Céph. C'est que son esprit

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

» court les champs; il cherche des vers, et lui » est niché au haut de la maison, où il fait une tragédie. Dic. Je ne m'en irai pourtant pas. Il » faut que je lui parle. Je m'en vais l'appeler. Euripide, Euripide, écoutez-moi, si jamais vous » avez écouté quelqu'un; c'est Dicoopolis. Eurip. » Je n'ai pas le tems. Dic. Montrez-vous au moins » un moment. Eurip. Non, je n'ai pas le tems de » descendre. Dic. Et pourquoi vous perchez-vous » si haut pour faire vos tragédies? Ne pourriez» vous pas les faire aussi bien en bas? Je ne m'étonne » pas si vous faites des héros boîteux. (Allusion » à une piece d'Euripide, où le héros était blessé » à la cuisse). Euripide descend sans qu'on sache » trop pourquoi. Dic. Je vous conjure à genoux, » mon cher Euripide, de me donner quelques lam

beaux de quelque vieille tragédie. Il faut que » je fasse un long discours devant le chœur, et je » mourrai de chagrin si je m'en tire mal. Eurip. » Quels lambeaux? Ceux d'Eneus, de Philoctete, » de Bellerophon? Dic. Non, de quelqu'un plus » misérable encore. Eurip. Ah ! j'entends; de

[ocr errors]

Telephe. Dic. Oui, de Telephe, du roi de Mysie. » Eurip. à son valet, Donne-lui donc les haillons » de Telephe; ils sont avec ceux de Thyeste et » d'Ino. Dic. Ah! juste ciel ! ils sont tous percés.

"

Mais puisque vous avez tant de bonté, donnez

33

» moi aussi le chapeau du roi de Mysie; car il faut » que je paraisse en mendiant devant le chœur, qui » est composé d'imbécilles que j'amuserai avec de petits vers, et non pas devant les spectateurs, qui doivent savoir ce qui en est. Eurip. Tenez; car » vous me paraissez un homme subtil, Dic. Je » souhaite toute sorte de bonheur à Telephe et à » vous. Depuis que j'ai cet habit, je me sens déjà » tout plein de petits vers. (Autre allusion au style d'Euripide). J'ai besoin ici du bâton que portent les mendians, Eurip. Prenez-le donc et allez-vous

[ocr errors]
[ocr errors]

en. Dic. Eh! bons dieux! que dites-vous? j'ai » encore besoin de bien des choses. Il faut abso

» lument que je les obtienne de vous, et vous ne me » refuserez pas. Donnez-moi une corbeille noircię » à la fumée d'une lampe. Eurip. Qu'en voulez-vous » faire? Dic. Rien, mais je voudrais l'avoir, Eurip, » Allez-vous-en ; vous m'importunez. Dic. Que » les dieux aient autant de soin de vous, qu'ils en ont eu autrefois de votre mere. Eurip, Allez-vousen. Dic, Donnez-moi du moins une petite tasse` ›› cassée par les bords. Eurip. La voilà, mais partez. C'est être trop importun, Dic. Ah, mon cher Euripide! vous ne savez pas quel tort vous me faites. De grace, donnez-moi encore un pot » terre bouché avec une éponge. Eurip. Cet homme» là me fera perdre toute une tragédie, Tenez et

de

» laissez-moi en repos. Dic. Je m'en vais; mais pour» tant j'ai encore besoin d'une chose essentielle, et » si elle me manque, je suis un homme mort. » Mettez-moi quelques légumes dans cette cor» beille. Eurip. En voilà; mais vous m'assassinez. » Ma tragédie est perdue. Dic. Je ne vous de» mande plus rien. Je me retire. Je sens que je » deviens incommode, et que je me brouille avec » tous les rois vos héros. Ah malheureux ! qu'allais-je faire? j'oubliais vraiment le principal. Mon » cher petit Euripide, que je meure si je vous » demande plus rien, hors cette seule chose : » donnez-moi une poignée des herbes que vendait » votre mere. Eurip. Ah! vous m'insultez. Céphisophon, ferme la porte. »

[ocr errors]

دو

Voilà le ton de l'ancienne parodie: elle vaut bien la nôtre.

Le sujet des Fêtes de Cérès est une conspiration de femmes assemblées pour ces fêtes, et qui projettent de se venger de tout le mal qu'Euripide avait dit des femmes dans ses pieces. La délibération se fait dans toutes les formes, Timoclée fait les fonctions de président, Sysilla de secrétaire, Sostrata donne les conclusions: c'est une parodie de l'aréopage. On demande qui veut parler. Une harangueuse se leve, et rappelle tous les outrages que son sexe a reçus du poëte. Une autre femme

« AnteriorContinuar »