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INTRODUCTION.

Nous passons de la poésie à l'éloquence : des objets plus sérieux et plus importans, des études plus séveres et plus réfléchies vont remplacer les jeux de l'imagination, et les illusions variées du plus séduisant de tous les arts. Ce n'est pas qu'ils n'aient tous entr'eux des rapports nécessaires et des points de contact, par lesquels ils communiquent les uns avec les autres. Ainsi l'imagination, non pas, il est vrai, celle qui invente, mais celle qui peint et qui émeut, est essentielle à l'orateur comme au poëte; et le poëte, dans le plus vif accès d'enthousiasme, ne doit pas perdre de vue la raison. Mais celle-ci domine beaucoup plus dans l'éloquence, et celle-là dans la poésie. En quittant l'une pour l'autre, nous devons nous figurer que nous passons des amusemens de la jeunesse aux travaux de l'âge mûr; car la poésie est pour le plaisir, et l'éloquence est pour les affaires. Les

vers ne sont guere un objet sérieux que pour celui qui les compose: ce qui fait son occupation est le délassement de ses lecteurs. Mais quand le ministre des autels annonce dans la chaire les grandes vérités de la morale, auxquelles l'idée d'un premier Être, rémunérateur et vengeur, donne une sanction nécessaire et sacrée ; quand le défenseur de l'innocence fait entendre sa voix dans les tribunaux; quand l'homme d'État délibere dans les conseils sur le sort des peuples; quand le citoyen plaide dans les assemblées législatives la cause de la liberté; quand le digne panégyriste du talent et de la vertu leur décerne des éloges qui sont un encouragement pour les uns, pour les autres un reproche, et pour tous une instruction; enfin quand le littérateur philosophé prépare dans le silence de la retraite ces réclamations courageuses qui déferent les abus, les erreurs et les crimes au tribunal de l'opinion publique, alors l'éloquence n'est pas seulement un art, c'est un ministere auguste consacré par la vénération de tous les

citoyens, et dont l'importance est telle, que le mérite de bien dire est un des moindres de l'orateur, et qu'occupés de nos propres intérêts plus que du charme de ses paroles, nous oublions l'homme éloquent pour ne l'homme vertueux et le bienfaiteur

voir

que

de l'humanité.

C'est ainsi

que s'établit cette admirable correspondance entre tout ce qu'il y a de plus grand dans l'homme, la vertu et le génie; c'est ainsi que par un heureux mélange, nos plus précieux intérêts tiennent à nos émotions les plus douces; c'est ainsi que se révele à tout homme qui pense la puissance réelle et la véritable dignité des arts, et que les leçons de l'histoire et les événemens de notre âge, le passé qui nous instruit, le présent qui nous afflige ou nous console, l'avenir qui nous menace ou nous rassure, tout se réunit pour nous rappeler un principe éternel, que la frivolité ne comprend pas assez pour y croire, que les hommes. pervers et puissans comprennent trop bien pour ne le pas craindre, et que la

raison a trop su apprécier pour ne le pas répéter sans cesse ; je veux dire que l'ignorance, le préjugé et l'erreur sont en tout genre les plus cruels ennemis des nations, et que les connaissances, les lumieres, les talens sont en effet leurs derniers protecteurs, et les vrais instrumens de leur salut et de leur félicité.

En présentant les arts de l'esprit sous un point de vue si imposant, je ne prétends point dissimuler combien ils ont souvent dégénéré de leur noble institution. Toutes les choses humaines ont deux faces; mais l'équité demande que l'une des deux ne nous fasse pas perdre l'autre de vue. Les arts et les talens sont comme toutes les autres especes de puissances : les plus respectables en elles-mêmes peuvent être les plus odieuses et les plus avilies, ou par négligence qu'on y apporte, qu'on en fait.

ou par

la

l'abus

L'éloquence dans un cardinal de Retz à été le fléau de l'État ; mais dans un Lhopital, un Mathieu Molé (pour ne parler encore

ici que des siecles passés), c'était la sauvegarde du peuple. Faisons la même distinction dans un ordre de choses moins élevé, et nous, nous n'aurons point l'injustice de déprécier l'art d'écrire, parce qu'il est devenu pour tant de gens un métier malheureusement trop facile. C'est là, puisqu'il faut le dire, le principe de toute dégradation, et le prétexte dont se servent la vanité et l'envie pour rabaisser ce qui doit être honoré. Les rhéteurs et les déclamateurs des écoles romaines étaient des pédagogues vulgaires; mais un Quintilien qui, pendant vingt ans, eut l'honneur, unique dans Rome, de tenir, aux frais du gouvernement, une école publique d'éloquence et de goût; un Quintilien qui a transmis ses leçons à la derniere postérité, en a mérité l'hommage et la reconnaissance. Un froid panégyrique d'un homme médiocre, composé par un médiocre écrivain, peut n'être qu'une amplification de collége; mais l'oraison funebre d'un pasteur

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