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la plus longue vie, mais d'avoir la plus heureuse. Or, en ce sens, les poëtes ne seront pas les plus mal partagés; car nous sommes convenus tout à l'heure qu'ils aimaient parfaitement, c'est-àdire, comme des fous: la folie en ce genre est la perfection. Je me flatte que ce petit commentaire sur Ovide ne paraîtra pas hors du sujet, et que ni les femmes ni les amans ni les poëtes ne peuvent s'en plaindre.

Ovide ne borne pas là ses leçons; mais les dernieres sont d'un genre qui me force à borner cette analyse. Cependant je ne finirai point cet article sans rendre encore hommage à la variété fertile et au caractere aimable de cet écrivain, qui a su se plier avec succès à des genres si différens. J'ai parlé ailleurs de ses Métamorphoses, et l'on sait quelle place éminente elles occupent parmi les plus belles productions de l'antiquité. Ses Fastes, dont nous n'avons que les six premiers livres, sont bien inférieurs, mais ne sont pas non plus sans mérite : cet ouvrage est aux Métamorphoses ce qu'est un dessein à un tableau. Les Fastes ont peu de coloris poétique; mais on y remarque toujours la facilité du trait. Ses Héroïdes, sorte d'épîtres amoureuses que l'on peut rapprocher de ses Élégies, ont le défaut de se ressembler toutes par le sujet. Ce sont toujours des amantes malheureuses et abandonnées.

C'est Phillis qui se plaint de Démophoon, Hipsipile de Jason, Déjanire d'Hercule, Laodamie de Protésilas, etc. On conçoit la monotonie qui résulte de cette suite de plaintes, de reproches, de regrets qui reviennent sans cesse; mais on ne saurait employer plus d'art et d'esprit à varier un fond si uniforme. Il y a même des morceaux touchans, et d'une sensibilité qui doit nous faire comprendre aisément le grand succès qu'obtint sa tragédie de Médée. Nous ne l'avons plus; mais Quintilien a dit qu'elle faisait voir ce que l'auteur aurait pu faire s'il avait su régler son génie, au lieu de s'y abandonner. Il faut avouer en effet, avec les critiques les plus éclairés, qu'Ovide, dans tous ses ouvrages, a plus ou moins abusé d'une facilité toujours dangereuse, quand on ne s'en défie pas. Il ne se refuse aucune maniere de répéter la même pensée, et quoique souvent elles soient toutes agréables, l'une nuit souvent à l'autre. On peut lui reprocher aussi les faux brillans, les jeux de mots, les pensées fausses, la profusion des ornemens. Ainsi venant après Virgile, Horace et Tibulle, les modeles de la perfection, il a marqué le premier degré de décadence chez les Latins, pour n'avoir pas eu un goût assez sévere et une composition assez travaillée.

A le considérer du côté moral, quoique ses écrits, comme a dit un de nos poëtes,

Alarment un peu l'innocence,

il n'a du moins montré dans ses poésies que cette espece d'amour que l'on peut avouer sans honte ; et c'est un mérire presque unique dans la corruption des mœurs grecques et romaines. Il dut à sa passion extrême pour les femmes, d'être préservé de la contagion générale. Il était d'un caractere très-doux, et lui-même se rend ce témoignage dans un endroit de ses Tristes, que la censure n'a jamais attaqué sa personne ni ses écrits : aussi était-il l'ami et le panégyriste de tous les talens. Tous les écrivains célebres qui furent ses contemporains, sont loués dans ses vers avec autant de candeur que d'affection; et il en est plusieurs parmi eux dont les ouvrages ont été perdus, et qui ne nous sont connus que par ses éloges.

PROPER CE.

Les poésies de Properce respirent toute la chaleur de l'amour, et quelquefois de la volupté; et Ovide l'a bien caractérisé lorsqu'il a dit, en parlant de ses élégies, les feux de Properce:

Et Properce souvent m'a confié ses feux.
Sapè suos solitus recitare Propertius ignes.

Mais il fait un usage trop fréquent de la mythologies et ces citations trop facilement empruntées de la fable, ressemblent plus aux lieux communs d'un poëte, qu'aux discours d'un amant. Une chose qui lui est particuliere parmi les poëtes érotiques, c'est qu'il est le seul qui n'ait célébré qu'une maîtresse. Il répete souvent à Cynthia, qu'elle seule sera à jamais l'objet de ses chants, et il lui a tenu parole. Cependant il ne faut pas croire qu'il ait été aussi fidele dans ses amours que dans ses vers; car il fait à un de ses amis à peu près le même aveu qu'Ovide. « Chacun, dit-il, a son défaut : le mien » est d'aimer toujours quelque chose. » Il convient que c'est surtout au théâtre qu'il ne peut s'empêcher de desirer tout ce qu'il voit. Il avoue même à Cynthia qu'il a eu quelque goût pour une Lycinna; mais si peu, si peu, que ce n'est pas la peine d'en parler. Après tout, à juger de cette Cynthia par le portrait qu'il en fait, elle ne méritait pas plus de fidélité. Jamais femme n'eut plus de disposition à tourmenter, à désespérer un amant, et jamais amant ne parut si malheureux et ne se plaignit tant que Properce. C'est même ce qui répand le plus d'intérêt dans ses ouvrages; car on sait que rien n'intéresse tant que la peinture du malheur. On plaint d'autant plus Properce, qu'après avoir bien

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reproché à sa maîtresse ses duretés, ses hauteurs, ses caprices, il finit toujours par une entiere résignation: il murmure contre le joug; mais le joug lui est toujours cher, et il veut le porter toute sa vie. Il paraît que malgré l'inconstance de ses goûts, il avait un penchant décidé pour Cynthia, et revenait toujours à elle, comme malgré lui. C'est une alternative de louanges et d'injures qui peint au naturel les différentes impressions qu'il éprouvait tour-à-tour. Tantôt il la représente comme plus belle que toutes les déesses; tantôt il l'avertit de ne pas se croire si belle, parce qu'il lui a plu de l'embellir dans ses vers et de vanter l'éclat de son teint, quoiqu'il sût fort bien que tout cet éclat n'était qu'emprunté. Ici, il lui attribue toute la fraî cheur de la jeunesse ; ailleurs, il lui dit qu'elle est déjà vieille. Enfin, après cinq ans il perd patience, il rompt sa chaîne, et ses adieux sont des impré-cations dans toutes les formes; ce qui fait douter que cette chaîne soit en effet bien rompue, car l'indifférence n'est pas si colere. Aussi après ces adieux solennels qui finissent le troisieme livre, on voit dans le quatrieme reparaître Cynthia, qui, toujours assurée de son pouvoir, vient chercher son esclave dans une maison de campagne, où il soupait avec deux de ses rivales. Elle est si furieuse et si terrible, qu'à

son

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