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chés, quelques esquisses de scenes, doivent suffire ici achever l'idée qu'on peut s'en former; car il ne faut pas s'imaginer qu'il soit question de plan, d'action, d'intrigue, d'intérêt, d'ordonnance dra¬ matique, d'aucune des bienséances théâtrales, de situations ou de caracteres comiques : rien de tout cela. Supposons qu'à l'époque de la Fronde, un poëte du tems, un plaisant à la mode, un Blot, par exemple, ou un Marigny, se fût amusé à mettre sur le théâtre le Coadjuteur, le duc de Beaufort, le grand Condé, le frere du roi, les dames de Chevreuse et de Montbazon, et de représenter en ridicule tout ce qui se passait alors à l'archevêché, au Luxembourg, au Palais-Royal, au parlement et dans les halles ; supposons que ces satyres, mises en scenes tantôt réelles, tantôt allégoriques, fussent un composé de l'esprit de Rabelais, des lazzis d'Ar lequin, des farces de Scaramouche, des harangues des charlatans du Pont-Neuf et des parades du boulevard, et qu'au milieu de toutes ces farces grossiérement bouffonnes, on distinguât un fonds d'imagination, quoique très-déréglée, un esprit fertile en inventions satyriques, et une sorte de verve sans aucun goût, ce serait notre Aristophane. On sent que de pareilles pieces ne seraient aujourd'hui d'aucun intérêt pour nous, si ce n'est par l'espece de curiosité que nous pourrions avoir de rechercher

les détails historiques des querelles de ce tems-là, comme nous lisons la Satyre Menippée pour étudier l'esprit de la Ligue, et la Confession de Sancy pour connaître la cour d'Henri III. Il en est de même des pieces d'Aristophane : c'est l'histoire qu'on y peut étudier plutôt que le théâtre. Un poëte comique était alors un homme de parti, qui avait son avis sur les affaires publiques, et qui le disait sur le théâtre, comme les orateurs dans l'assemblée, si ce n'est que la forme était toute différente, et que les Athéniens, de tous les peuples le plus léger, le plus frivole, le plus vain, le plus médisant, écoutait avec beaucoup plus d'attention les bouffonneries de ses poëtes, que les harangues de ses orateurs. Il faut bien savoir à quel abus, à quel excès était poussée la liberté démocratique, pour concevoir tout ce que dans ce genre a pu oser Aristophane. La guerre du Péloponese durait depuis six ans : c'était Périclès qui avait été d'avis de l'entreprendre, pour ne pas laisser perdre aux Athéniens l'espece de suprématie qu'ils avaient dans la Grece depuis les batailles de Maraton et de Salamine, et que Lacédémone s'efforçait de reprendre sur eux. L'Attique étant un pays ouvert du côté de la Laconie, il était facile aux Lacédémoniens de porter les ravages jusqu'aux portes d'Athenes, dont la puissance consistait surtout dans ses forces de

mer. Il arrivait qu'Athenes, avec ses vaisseaux, infestait les possessions des Lacédémoniens, et que ceux-ci, avec leurs armées de terre, désolaient l'Attique. Cette alternative, ou plutôt cette réciprocité de bons et mauvais succès, et du mal qu'on faisait ou qu'on souffrait de part et d'autre, durait depuis six ans. On négociait pour la paix : le peuple la desirait, mais les grands, les généraux d'armée, entr'autres Cléon et Lamachus, ne le voulaient pas. Aristophane veut persuader que la paix est nécessaire. Il fait une piece qui s'appelle les Acharniens, du nom d'un bourg de l'Attique, nommé Acharne, où se passe la scene. C'est une suite de mascarades burlesques, qui tendent toutes à jeter de l'odieux et du ridicule sur Cléon et sur Lamachus; mais en passant, il n'oublie pas Euripide: il y a un acte entier contre lui. A l'égard d'Aristophane, il se représente lui-même sous le nom de Dicaopolis, c'est-à-dire, bon citoyen, et il fait son traité particulier avec les Lacédémoniens; ce qui lui vaut une foule d'avantages dont la guerre prive tous ses compatriotes c'est là le fond de la piece. Ce qu'il y a de plus curieux, c'est de voir comme il traite les Athéniens, et de quel ton il leur parle de luimême par la bouche du chœur, « Depuis que notre poëte s'est occupé à faire des comédies, il ne lui » est pas encore arrivé de paraître devant vous

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» pour vous dire qu'il a du mérite. Mais comme » ses ennemis l'accusent auprès de ces étourdis » d'Athéniens, de jouer en plein théâtre la répu

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blique et d'injurier le peuple, il faut bien qu'il » se justifie auprès de cette multitude inconstante. » Or, le poëte dit que vous devez faire grand cas de » lui, parce que c'est lui qui empêche que les députés des villes alliées ne vous en fassent accroire, » que vos flatteurs ne vous trompent, et que vous » ne négligiez le soin des affaires publiques. Aupa» ravant, dès que ces députés voulaient vous en » imposer, il suffisait qu'ils vous fissent des complimens, qu'ils vous dissent d'un ton doucereux: » O Athéniens, qui vous couronnez de violettes! » O ville d'Athenes, bien grasse et bien huilée! Alors vous vous releviez sur vos siéges pour en→ » tendre toutes ces belles choses, et ils obtenaient » de vous ce qu'ils voulaient, pour avoir fait de » vous le même éloge que des anchois. Le poëte » vous a donc fait un grand bien; il vous a appris » que le gouvernement des villes vos alliées, appar» tenait au peuple, Aussi vous verrez leurs envoyés

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quand ils vous apporteront les tributs, demander » où est Aristophane, et s'empresser à voir cet

excellent poëte, qui ose dire aux Athéniens ce qui est juste et vrai. Le bruit de sa hardiesse s'est » étendu si loin, que le grand roi a demandé aux

ambassadeurs de Lacédémone, s'ils étaient aussi » puissans sur mer que les Athéniens, et s'ils avaient » un Aristophane qui leur dît leurs vérités, ajou» tant que les Athéniens seraient vainqueurs s'ils » suivaient les conseils du poëte. C'est pour cela » que Lacédémone, en vous proposant la paix, » vous demande l'île d'Egine, non qu'elle s'en » soucie beaucoup, mais parce qu'Aristophane a » des terres dans cette île, et qu'ils voudraient se » l'attacher. Mais ne le laissez pas aller ; aller; car il vous » instruira dans ses comédies, et vous apprendra » à être heureux, non pas en vous flattant, en ga» gnant des partisans intéressés, en vous séduisant » par de perfides caresses, mais en vous enseignant » ce qu'il y a de mieux à faire. Ainsi, que Cléon » machine ce qu'il voudra contre moi, l'honnêteté » et la justice seront de mon côté, et combattront » avec moi, et jamais la république ne me trou» vera tel que Cléon, c'est-à-dire, un lâche et un » efféminé. »

Cette apologie, ce panégyrique, ne sont pas dans un prologue, comme on pourrait le croire; c'est au milieu de la piece, à la fin du second acte. On peut juger par-là du peu d'égard qu'on avait alors à l'illusion dramatique, qui ne peut s'accorder avec cette coutume bizarre, d'adresser à tout moment

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