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quelques épîtres badines. Ce n'est pas là montrer les objets sous leur véritable point de vue. Ce. n'est pas quand Horace invite à souper Glycere et Lydie, ou plaisante avec ses amis, qu'il faut le comparer à Juvénal. Celui-ci même, tout Juvénal qu'il était, probablement n'écrivait pas à sa maîtresse, s'il en avait une, du ton dont il écrivait ses satyres : il lui aurait fait peur. M. Dusaulx sait bien que chaque genre a son style. Il faut donc nous montrer dans les satyres d'Horace, cette indulgence pour les caprices et les faiblesses; il faut. nous faire voir les objets des passions embellis, la morale mêlée d'alliage, et ce n'est pas ce que j'y ai vu. Que serait-ce donc si nous jugions Juvénal, qu'on nous donne ici pour un philosophe si austere, non par ses satyres, mais par ce que ses amis disaient de lui? Martial, son ami le plus intime, lui écrit d'Espagne ces propres mots : « Tandis 32 que couvert d'une robe trempée de sueur, tụ » te fatigues à parcourir les anti- chambres des

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grands, je vis en bon paysan dans ma patrie. » Est-ce là cet homme și étranger au monde ? Nous venons de voir qu'Horace le fuyait quelquefois, ẹt voilà Juvénal qui le recherche. On ne l'aurait pas cru; c'est que pour bien juger, pour saisir des résultats sûrs, il ne faut pas s'en tenir à des aperçus vagues, il faut considérer les choses sous

toutes leurs faces, lire tout et entendre tout le monde.

Je conclus que les beautés semées dans les écrits. de Juvénal, et qui malgré tous ses défauts lui ont fait une juste réputation, sont de nature à être goûtées surtout par les gens de lettres, seuls capables de dévorer les difficultés de cette lecture. Il a des morceaux d'une grande énergie: il est souvent déclamateur, mais quelquefois éloquent; il est souvent outré, mais quelquefois peintre. Ses vers sur la Pitié, justement loués par M. Dusaulx, sont d'autant plus remarquables, que ce sont les seuls où il ait employé des teintes douces. La satyre sur la Noblesse est fort belle; c'est à mon gré la mieux faite, et Boileau en a beaucoup profité. Celle du Turbot, fameuse par la peinture admirable des courtisans de Domitien, a un mérite particulier : c'est la seule où l'auteur se soit déridé. Celle qui roule sur les Vœux, offrent des endroits frappans; mais en total c'est un lieu commun appuyé sur un sophisme. Il n'est pas vrai qu'on ne doive pas desirer une longue vie, ni de grands talens ni de grandes places, parce que toutes ces choses ont fini quelquefois par être funestes à ceux qui les ont obtenues. Il n'y a qu'à répondre que beaucoup d'hommes ont eu les mêmes avantages sans éprouver les mêmes malheurs, et l'argument

tombe de lui-même : c'est comme si l'on soutenait qu'il ne faut desirer d'avoir des enfans, parce pas que c'est souvent une source de chagrins. Pour répondre à ce raisonnement, il n'y aurait qu'à montrer les parens que leurs enfans rendent heureux, et dire Pourquoi ne serais-je pas du nombre ? De plus, il est faux qu'un pere ne doive pas souhaiter à son fils les talens de Cicéron, parce qu'il a péri sous le glaive des proscriptions; et quel homme, pour peu qu'il ait quelqu'amour de la vertu et de la véritable gloire, croira qu'une aussi belle carriere que celle de Cicéron soit payée trop cher par une mort violente, arrivée à l'âge de soixantecinq ans? Qui refuserait à ce prix d'être l'homme le plus éloquent de son siecle et peut-être de tous les siecles, d'être élevé par son seul mérite à la premiere place du premier empire du Monde, d'être trente ans l'oracle de Rome, enfin d'être le sau-. veur et le pere de sa patrie? S'il était vrai que le fer d'un assassin qui frappe une tête blanchie par les années, pût en effet ôter leur prix à de si hautes destinées, il faudrait croire que tout ce qu'il y a parmi les hommes de vraiment grand, de vraiment desirable, n'est qu'une chimere et une illusion.

Au fond, cette satyre si vantée se réduit donc à prouver que les plus précieux avantages que

l'homme puisse desirer, sont mêlés d'inconvéniens et de dangers, et c'est une vérité si triviale, qu'il ne fallait pas en faire la base d'un ouvrage

sérieux.

Horace ne tombe point dans ce défaut, qui n'est jamais celui des bons esprits; et sans vouloir revenir sur l'énumération de ses différentes qualités, je crois, à ne le considérer même que comme satyrique, lui rendre, ainsi qu'à Juyénal, une exacte justice, en disant l'un est fait pour être admiré quelquefois, et l'autre pour être tou

jours relu,

que

SECTION I I.

De Perse et de Pétrone,

La gravité du style, la sévérité de la morale, beaucoup de concision et beaucoup de séns sontles attributs particuliers de Perse. Mais l'excès de ces bonnes qualités le fait tomber dans tous les défauts qui en sont voisins.

Qui n'est que juste, est dur: qui n'est que sage, est triste, a si bien dit Voltaire, et cela est vrai des ouvrages. comme des hommes. La gravité stoïque de Perse devient sécheresse; sa sévérité que rien ne tempere, vous attriste et vous effraie; sa concision

outrée le rend obscur, et ses pensées trop pressées vous échappent. Aussi est-il arrivé que bien des gens, rebutés d'un auteur si pénible à étudier et si difficile à suivre, l'ont jugé avec humeur et en ont parlé avec un mépris injuste. D'autres qui l'estimaient en proportion de ce qu'il leur avait coûté à entendre, l'ont exalté outre mesure, comme on exagere le prix d'un trésor qu'on a découvert et qu'on croit posséder seul. Un Pere de l'Église le jeta par terre en disant : Puisque tu ne veux pas être compris, reste là. Un autre jeta ses satyres au feu, peut-être pour faire cette mauvaise pointe : Brûlons-les pour les rendre claires. Plusieurs savans, entr'autres Scaliger, Meursius, Heinsius et Bayle, n'ont été frappés que de son obscurité. D'autres l'ont mis au dessus d'Horace et de Juvénal. Cherchons la vérité entre ces extrêmes, et quand nous aurons assez travaillé sur cet auteur pour le bien comprendre, nous serons de l'avis de Quintilien, qui dit de Perse: « Il a mérité beaucoup de gloire » et de vraie gloire. » C'est qu'en effet sa morale est excellente et son esprit très-juste; qu'il a des beautés réelles et propres au genre satyrique; que son expression est quelquefois très-heureuse ; que ses préceptes sont vraiment ceux d'un sage, et que plusieurs de ses vers ont été retenus comme des proverbes de morale. C'en est assez peut-être pour

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