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saulx n'accorde-t-il pas un peu trop à Juvénal ? « Il » ne cessa de réclamer contre un pouvoir usurpé; » de rappeler aux Romains les beaux jours de » leur indépendance. » Je viens de relire toutes ses satyres : j'avoue que je n'ai vu nulle part qu'il réclamât contre le pouvoir arbitraire, ni qu'il revendiquât les droits de la liberté républicaine. Je sais qu'il fit une satyre contre Domitien, et qu'il peint en traits énergiques l'effroi qu'inspirait ce monstre et la lâcheté de ses courtisans. Mais Domitien n'était plus; mais tout ce qu'il dit est personnel au tyran; mais il n'y a pas un mot qui tende à combattre en aucune maniere le pouvoir impérial; et puisqu'il faut tout dire, ce même Domitien qu'il déchire après sa mort, il l'avait loué pendant sa vie. Il l'appelle le seul protecteur, le seul guide qui reste aux arts et aux lettres. Je veux qu'il ait été trompé par cette apparence de faveur accordée aux gens de lettres, qui fut un des premiers traits de l'hypocrisie particuliere à Domitien, comme Lucain fut séduit par les trompeuses prémices du regne de Néron; mais Lucain dans sa Pharsalę, n'en éleve pas moins un cri continuel et terrible contre la tyrannie. C'est lui qui réclame bien formellement contre le pouvoir usurpé, qui s'indigne que les Romains portent un joug que la lâcheté de

leurs ancêtres a forgé, qui répete sans cesse le mot de liberté, qui crie aux armes contre les tyrans, qui implore la guerre civile comme préférable cent fois à la servitude. Voilà parler en républicain, en Romain. Aussi Lucain fut conséquent sa conduite et sa destinée furent telles qu'on devait l'attendre d'un homme qui écrit de ce style sous Néron. Il conspira contre lui avec Pison, et finit, à vingt-sept ans, par s'ouvrir les veines. Je ne reproche point à Juvénal d'avoir eu moins de courage, et d'être mort dans son lit; mais je ne lui donnerai pas non plus des louanges qu'il ne mérite point. Je ne trouve chez lui qu'un seul endroit qui exprime quelque regret pour la liberté : c'est dans sa premiere satyre, lorsqu'il se fait dire : » As-tu un génie égal à ta matiere ? Es-tu comme tes devanciers, prêt à tout écrire avec cette » franchise animée dont je n'ose dire le nom? » Ce nom qu'il n'ose prononcer, est évidemment celui de liberté. Mais ce regret, comme on voit, est enveloppé et timide; il semble même ne porter que sur la liberté des écrits; enfin c'est le seul de cette espece qu'on remarque chez lui. Cette satyret fut écrite, comme presque toutes les autres, sous Trajan; plusieurs le furent sous Adrien; une seule fut composée sous Domitien, celle où il eut le malheur de le louer, La date de ses écrits peut

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donc infirmer à un certain point ce que dit son traducteur des tems où il écrivait, pour justifier l'excès d'amertume et d'emportement, qui est le même dans toutes ses satyres. Quoi! Juvénal après avoir vécu sous Domitien, a vu tout le regne de Trajan, l'un des plus beaux que l'histoire ait tracés; il a vu tour-à-tour régner un monstre et un grand-homme, et ce contraste si frappant, ce contraste que Tacite nous a si bien fait sentir, Juvénal ne l'a pas senti! C'est après Domitien er sous Trajan qu'il n'a que des satyres à faire, qu'il ne trouve pas une vertu à louer, pas un mot d'éloge pour le modele des princes, lui qui avait loué Domitien ! Il ne profite pas de cette réunion de circonstances, si heureuse pour un écrivain sensible, qui sait combien les tableaux de la vertu font ressortir ceux du vice, combien ces peintures contrastées se prêtent l'une à l'autre de force et de pouvoir, combien ces différentes nuances donnent au style, 'd'intérêt, de charme et de variété ! Et c'est là, pour conclure, un des vices essentiels de ses ouvrages: une monotonie qui fatigue er qui révolte. La satyre même ne doit pas être une invective continuelle, et l'on ne peut nous faire croire ni que l'homme sage doive être toujours en colere, ni que la colere ait toujours raison. Qu'est-ce qu'un écrivain qui ne sort pas de fureur,

qui ne voit dans la nature que des monstres, qui ne peint que des objets hideux, qui semble s'ap pesantir avec complaisance sur les peintures les plus dégoûtantes, qui m'épouvante toujours et ne me console jamais, qui ne me permet pas de me reposer un moment sur un sentiment doux? Joignez à ce défaut capital, la dureté pénible de sa diction, son langage étrange, ses métaphores accumulées et bizarres, ses vers gonflés d'épithetes scientifiques, hérissés de mots grecs; et lorsque tant de causes se réunissent pour en rendre la lecture si difficile, faut-il donc chercher dans la corruption humaine et dans la dépravation de notre siecle les motifs de la préférence que l'on donne à un poëte tel qu'Horace, dont la lecture est si agréable? Est-il bien sûr que Juvénal soit parmi nous si formidable pour la conscience des méchans? Les mœurs qu'il· attaque, sont en grande partie si différentes des nôtres; il peint le plus souvent des excès si monstrueux, et qui par notre constitution sociale nous sont si étrangers (1), qu'un homme très-vicieux parmi nous pourrait, en lisant Juvénal, se croire un fort honnête homme. N'est-il donc pas plus simple de penser que s'il est peu lu, c'est qu'il a peu d'attraits pour le lecteur, c'est qu'il a peint beaucoup moins

(1) Ceci était écrit en 1787.

les travers, les faiblesses, les défauts et les vices

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communs à l'humanité en général, qu'un genre perversité particulier à un peuple parvenu au dernier degré d'avilissement, de crapule et de dépravation, dans un climat corrupteur, sous un gouvernement détestable, et avec la dangereuse facilité d'abuser en tout sens de tout ce que mettaient à sa discrétion les trois parties du Monde connu ? Il faut se souvenir que les degrés de corruption tiennent non-seulement à l'immoralité, mais aux moyens si nous ne sommes ni ne pouvons être aussi dépravés que les Romains, c'est que nous ne sommes pas les maîtres du Monde,

Toutes ces considérations nous autorisent à ne point admettre la conclusion par laquelle M. Dusaulx termine son parallele; que si Juvénal a peu de partisans, c'est qu'il professe la vertu sans alliage et dans toute sa pureté, et que les ambitieux et les kommes sensuels ont intérêt à lui préférer un poëte indulgent, qui embellit les objets de leurs goûts, excuse leurs caprices et autorise leurs faiblesses par son exemple. Il y a ici une espece de sophisme que j'ai déjà indiqué, et qui pourrait sans doute, contre l'intention de l'auteur, faire prendre le change à des lecteurs inattentifs. M, Dusaulx peint ici dans Horace, non pas le poëte satyrique, mais l'auteur d'odes galantes et voluptueuses et de

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