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L'auteur de la piece est ennemi mortel de Cléon, qui lui a contesté les droits de bourgeoisie, et qui n'avait pas grand tort; car on ne sait au juste de quel pays est Aristophane. Il a eu beaucoup de peine à s'en tirer, et s'est bien promis de prendre sa revanche, en se servant de ses armes ordinaires, c'est-à-dire, en mettant Cléon sur la scene, comme il y a déjà mis Socrate. Il y a cette différence, que Socrate est un honnête homme, un bonhomme, quoiqu'un peu visionnaire, et que Cléon est un intrigant qui a trouvé moyen, on ne sait trop comment, de se rendre agréable au peuple. Son expédition de Pyle lui a donné surtout un très-grand crédit; mais il y a plus de bonheur que dé mérite. Avant qu'il arrivât pour prendre le commandement, Démosthene avait déjà fort avancé les affaires, et Cléon n'a eu qu'à recueillir le fruit des travaux et de l'habileté d'autrui. Voilà ce que signifie ce gâteau de Pyle qu'il a escamoté, et qu'un autre avait pétri. C'est là le fin de l'emblême. On l'appelle paphlagonien, non pas qu'il soit de Paphlagonie; c'est un jeu de mots qui veut dire qu'il a une voix forte, et qu'il crie toujours; cela vient, comme vous savez, de xaqaalur, bouillir avec bruit. On l'appelle aussi corroyeur, parce qu'originairement c'était son métier. Ah! c'est donc pour cela

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que dans la piece il est si souvent question de cuir, et qu'on riait tant dès qu'on parlait de cuir. — Justement, c'est une des meilleures plaisanteries de la piece. - En effet, il faut que l'auteur l'ait crue bien bonne; car il y revient souvent. -Vous voyez maintenant toute sa marche. Le paphlagonien, qui a supplanté auprès de son maître les deux esclaves ses camarades, c'est Cléon qui, a su écarter Nicias et Démosthene, les desservir auprès du peuple athénien, et se faire donner les récompenses qui leur étaient dues. Quoi! ce vieillard imbécille, dont on se moque pendant toute la piece; ce peuple Pnycéen ? C'est le peuple d'Athenes, c'est nous: est le nom du lieu où se tiennent nos assemblées. Oh! c'est un brave citoyen que cet Aristophane. Savez-vous que c'est lui qui a joué sous le masque de Cléon -Comment ? est-ce l'usage chez vous, que les auteurs jouent dans leurs pieces? Non, il n'y en avait point d'exemple; mais comme aucun comédien n'a osé se charger du rôle de Cléon ni s'attirer un ennemi si puissant, il a pris le parti de jouer lui-même. Ne conviendrez-vous pas que c'est là ce qui s'appelle aimer sa patrie? C'est au moins hair beaucoup Cléon. Mais Fui a fait Euripide? C'est un disciple

que

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d'Anaxagore, un ami de Socrate ; et Aristophane les hait également tous les trois, parce qu'ils méprisent ses comédies, qu'ils n'y viennent jamais, et disent tout haut que ce sont des farces scandaleuses. Ces philosophes n'aiment pas la gaieté. - Mais vous l'aimez beaucoup, vous autres, puisque vous trouvez fort bon qu'on se moque de vous. Oui, pourvu qu'on nous fasse rire.

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Il y a quelque tems qu'Aristophane nous amusa bien aux dépens de Périclès. - Quoi! ce grand Périclès, dont le nom est si révéré dans toute la Grece et jusque dans l'Asie, à qui votre république doit aujourd'hui sa splendeur et sa puissance? Nous lui avons de grandes obligations, il est vrai; mais c'est pour cela même que nous savons meilleur gré à l'auteur de ne pas l'épargner plus qu'un autre. C'est là le symbole de l'égalité républicaine. Tous ces grands personnages seraient trop fiers, si notre Aristophane ne nous en faisait pas raison. Un des grands priviléges de la liberté, c'est de se moquer de ceux qui nous font du bien; mais pourtant nous ne les en estimons pas moins. Croyez-vous que les plaisanteries d'Aristophane nous empêchent de sentir le mérite de Périclès, d'Euripide, de Socrate? Après tout, qui aurait droit de se plaindre, puisque nous

ne

ne nous faisons pas grace à nous-mêmes? Vous avez vu quel portrait il fait du vieillard, mangeur de féves. Vous me le rappelez.

Qu'est-ce que veulent dire ces féves?

Quoi !

vous ne savez pas qu'aux assemblées où nous donnons nos suffrages, nous portons toujours des féves pour cet usage, et que nous nous amusons ordinairement à les tenir entre nos dents? Non vraiment, je n'en savais rien. vous n'avez donc rien compris à la piece?grand chose et surtout ce que vous me dites: je vous avoue que je n'y ai pas trop de regret.

Mais Pas

Vous avez perdu beaucoup. Elle est pleine de traits piquans chaque mot fait allusion à quelqu'endroit de la vie de Cléon. Par exemple, c'est lui qui a fait donner au peuple trois oboles pour son droit de présence aux assemblées, au lieu de deux qu'il avait auparavant. C'est pour cela que l'esclave dit deux ou trois oboles. Sentezvous toute la finesse? Qui, je conçois que cela peut vous amuser. Vous savez votre Cléon par cœur; vous le voyez tous les jours; vous vivez avec lui. Mais que m'importe, à moì, tout le mal qu'on dit de Cléon ? Et pourquoi voulezvous que je me mette l'esprit à la torture pour comprendre les sarcasmes énigmatiques de votre Cours de littér. Tome II.

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B

Aristophane? vous qu'il a écrit. A qui voulez-vous donc qu'un poëte dramatique cherche à plaire, si ce n'est à ses juges naturels, à ses concitoyens ? Mais quand il ferait en sorte de plaire à d'autres, il n'y aurait pas de mal, et peut-être n'en vaudrait-il que mieux. Il vous sert selon votre goût: c'est fort bien fait; mais ce goût peut changer, et vos enfans pourront fort bien s'amuser un peu moins que vous du gâteau de Pyle er du cuir de Cléon. Je crois que cet Euripide, ce fils d'une marchande d'herbes, comme l'appelle ingénieusement Aristophane, a travaillé dans un genre un peu plus durable. Je ne serais pas surpris que dans les siecles à venir et chez d'autres nations, il ne fût encore un grand poëte et que votre Aristophane, s'il parvient à la postérité, n'y eût d'autre rang que celui d'un satyrique qui a réussi dans le plus aisé de tous les genres d'esprit, celui de la méchanceté, et qui a insulté grossiérement, dans Euripide, un homme qui a eu le talent rare de travailler pour tous les siecles.

Mais aussi ce n'est pas pour

La petite conversation que je viens d'avoir au théâtre d'Athenes, nous a déjà donné quelques notions sur Aristophane. Un coup d'œil très-rapide sur chacune de ses pieces, et quelques traits déta

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