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» Il est aisé maintenant de sentir pourquoi » Horace a plus de partisans que Juvénal. On » sait que depuis long-tems la vertu sans alliage » n'a plus de cours, que ceux qui la professent » dans toute sa pureté, ont toujours plus d'ad» versaires que de disciples, et qu'ils révoltent plus souvent qu'ils ne persuadent. Supposé » que les riches, presque toujours insatiables, » fussent sans pudeur et sans humanité quand il s'agit de devenir encore plus riches; supposé, » que l'or, au lieu de circuler également dans tous » les membres de l'état et d'y porter la vie, ne » servît plus qu'à fomenter le luxe insolent des » parvenus, quel serait, je vous prie, le sort de » deux orateurs, dont l'un plaiderait la cause du » superflu, et l'autre celle du nécessaire? Il est évident que le premier triompherait auprès de » nos Crésus; mais le second n'ayant pour amis » que les infortunés, je tremblerais pour lui. Le

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grand talent d'un écrivain chez les peuples arrivés » à ce déclin des mœurs, qu'on appelle l'exquise

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politesse, est moins de dire la vérité que ce qui plaît aux hommes puissans. Si ces réflexions » sont justes, on m'accordera que les ambitieux, » les hommes sensuels et ceux qui flottent au gré » de l'opinion, n'ont que trop d'intérêt à préférer

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à l'âprẻ censure de Juvénal, la douceur et l'ur» banité d'un poëte indulgent, qui, non content » d'embellir les objets de leurs goûts et d'excuser » leurs caprices, sait encore autoriser leurs faiblesses » par son exemple. Souvent, dit Horace, je fais,

au préjudice de mon bonheur, ce que ma propre » raison désavoue. Il convient encore qu'il n'avait la force de résister à l'attrait du moment, " pas » et que ses principes variaient selon les circons »tances. Il faut l'entendre exalter tour-à-tour, et » la modération de l'ame, et son activité dans la poursuite des honneurs, tantôt vanter la souplesse d'Aristippe, tantôt l'inflexibilité de Catón; et » comme si le cœur pouvait suffire en même tems. >aux affections les plus contraires, approuver dans » le même ouvrage, et la modestie qui se cache » et la vanité qui brûle de se produire au grand jour. S'il est vrai que l'humanité s'affaiblit et » s'altere à mesure qu'elle se polit, le plus grand nombre doit aujourd'hui donner la préférence à » celui qui sait le mieux amuser l'esprit et flatter l'indolence du cœur, sans paraître toutefois déroger aux qualités essentielles qui constituent » l'homme de bien. C'est principalement à ces titres qu'Horace ne peut jamais cesser d'être d'âge en âge le confident et l'ami d'une postérité Cours de littér. Tome II.

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» que de nouveaux arts, et par conséquent des » besoins nouveaux, éloigneront de plus en plus de » la simplicité naturelle. Mais l'homme libre, s'il » en est encore, celui qui s'est bien persuadé que » le vrai bonheur ne consiste que dans nous-mêmes, qu'excepté les relations de devoir, de bienveil» lancé et d'humanité, toutes les autres sont chi»mériques et pernicieuses; celui qui s'est fait des principes constans, qui ne connaît qu'une chose » à desirer, le bien, qu'une chose à fuir, le mal, » et qui se dévouerait plutôt à l'opprobre, à la » mort, que de trahir sa conscience, dont le témoi» gnage lui suffit; celui-là, n'en doutez point, préférera sans hésiter la rigueur d'une morale » invariable à tous les palliatifs d'un auteur complaisant. Ainsi Juvénal serait le premier des satyriques, si la vertu était le premier besoin des » hommes; mais, comme il le dit lui-même, on »vante la probité, tandis qu'elle se morfond.

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» Je conclus de ces considérations, qu'Horace » écrivit en courtisan adroit, Juvénal en citoyen zélé; que l'un ne laisse rien à desirer à un esprit » délicat et voluptueux, et que l'autre satisfait pleinement une ame forte et rigide. »

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Voilà sans doute un morceau d'une éloquence austere, et digne d'un traducteur de Juvénal. Mais

est-il bien réfléchi? Horace mérite-t-il tous les reproches qu'on lui fait, et Juvénal tous les éloges qu'on lui donne? Enfin, les motifs de la préférence assez généralement accordée au premier, sont-ils en effet ceux que l'on nous présente ici? C'est ce que je vais me permettre d'examiner, sans autre intérêt que celui de la vérité, qui doit aux yeux d'un littérateur philosophe, tel que celui qui a écrit ce morceau, l'emporter sur toute autre considération; et comme il ne s'est fait aucun scrupule de réfuter dans un autre endroit de son discours l'opinion d'un de ses confreres sur Juvénal, j'espere qu'il ne trouvera pas mauvais que je combatte la sienne. Dussé-je me tromper, une discussion de cette nature, avec un homme du mérite de M. Dusaulx, ne peut qu'être honorable pour moi, et intéressante pour tous les amateurs des lettres.

D'abord nos deux auteurs sont-ils suffisamment caractérisés par cette première phrase, qui sert de fondement à tout le reste du parallele : « L'un n'a

saisi que l'enjoument de la satyre, l'autre que » la gravité? » J'avoue qu'Horace est très-enjoué ; c'est chez lui tout à la fois un don de la nature et un principe de goût. C'est d'après un de ses vers, cité partout, que s'est établie cette maxime qui n'est pas contestée, que souvent le ridicule,

même dans les sujets les plus importans, a plus de force et d'efficacité que la véhémence. Des exemples sans nombre pourraient le prouver; mais il n'y en a point de plus frappant que celui qu'a donné Montesquieu. L'auteur de l'Esprit des lois savait autre chose que plaisanter, et c'est pourtant avec la seule arme du ridicule qu'il a attaqué l'Inquisition. Croira-t-on pour cela qu'il en sentît moins toute l'horreur? On en peut juger par celle qu'il inspire pour le monstre qu'il terrasse en riant. Mais quel rire ! C'est bien le cas d'appliquer ici ce mot heureux que M. Dusaulx loue avec tant de raison dans Juvénal: « Quand Dieu regarde les méchans, il » en rit et les déteste. » C'est qu'en effet il y a un rire mêlé de mépris et d'indignation, qui exprime le sentiment le plus amer que l'excès du vice et du crime puisse inspirer à l'homme de bien. Ce n'est pas là,

là, il est vrai, le rire d'Horace, mais aussi ce n'est pas l'Inquisition qu'il combat. M. Dusaulx convient lui-même qu'à l'époque où Horace écrivait, les mœurs étaient beaucoup moins dépravées, moins scandaleuses, moins atroces qu'elles ne le devinrent depuis Tibere jusqu'à Domitien. Il aurait pu ajouter, à la louange d'Auguste, que les sages lois de ce prince contribuerent à rétablir une sorte de décence et à réprimer une partie des désordres

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