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» Horace, bien sûr que les races futures, enchan»tées de sa poésie, affranchiraient son nom, vit qu'il pouvait impunément être le flatteur et

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le complice d'un homme qui régnait sans obs» tacle. Aussi les éloges qu'il distribuait étaientils uniquement relatifs à l'état présent des choses, » et au crédit actuel des personnes dont il ambitionnait le suffrage. On ne trouve en aucun endroit de ses écrits, ni le nom d'Ovide flétri » par sa disgrace, ni celui de Cicéron que Rome » encore libre, dit Juvénal, avait appelé le dieu tutélaire, le pere de la patrie. Mais il n'a point » oublié de chanter les favoris de la fortune; ceux-là » n'avaient rien à craindre de sa muse: plus enjouée » que mordante, elle ne s'égayait qu'aux dépens

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de cette partie subalterne de la société, dont » il n'attendait ni célébrité ni plaisirs. Nul ne » connut mieux que lui le pouvoir de la louange : » nul ne sut l'apprêter plus adroitement, ni gagner » avec plus d'art la bienveillance des premiers de l'Empire; et c'est par-là surtout que son livre est » devenu cher aux courtisans. Avouons-le cepen»dant tout homme qui pense, ne peut s'em

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pêcher d'en faire ses délices, Le client de Mécene

joignait des qualités éminentes et solides à des » talens agréables. Non moins philosophe que » poëte, il dictait avec une égale aisance les

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préceptes de la vie et ceux des arts. Comme il aimait mieux capituler que de combattre, comme il attachait peu d'importance à ses leçons, et qu'il ne tenait à ses principes qu'autant qu'ils favorisaient ses inclinations épicuriennes, ce Protée compta pour amis et pour admirateurs » ceux mêmes dont il critiquait les opinions ou la conduite.

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» Juvénal commença sa carriere où l'autre avait » fini la sienne, c'est-à-dire, qu'il fit pour les mœurs et pour la liberté ce qu'Horace avait » fait

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pour la décence et le bon goût. Celui-ci venait d'apprendre à supporter le joug d'un maître et de préparer l'apothéose des tyrans. Juvénal » ne cessa de réclamer contre un pouvoir usurpé, » de rappeler aux Romains les beaux jours de leur indépendance. Le caractere de ce dernier fut la » force et la verve; son but, de consterner les vicieux et d'abolir le vice presque légitimé. Cou

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» rageuse mais inutile entreprise! Il écrivait dans » un siecle détestable, où les lois de la nature » étaient impunément violées, où l'amour de la patrie était absolument éteint dans le cœur de » presque tous ses concitoyens; de sorte que cette » race, abrutie par la servitude, le luxe et par » tous les crimes qu'il a coutume de traîner à » sa suite, méritait plutôt des bourreaux qu'un

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» censeur. Cependant l'Empire ébranlé jusque dans » ses fondemens, allait bientôt s'écrouler sur lui» même. Le caractere romain était tellement

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dégradé, que personne n'osait proférer le mot de » liberté. Chacun n'était sensible qu'à son propre malheur, et ne le conjurait souvent que par » délation. Parens, amis, tout, jusqu'aux êtres » inanimés, devenait suspect. Il n'était pas permis » de pleurer les proscrits: on punissait les larmes. Finissons, car excepté quelques instans de relâche, » l'histoire de ces tems déplorables n'est qu'une. » liste de perfidies, d'empoisonnemens et d'assas» sinats. Dans ces conjonctures Juvénal méprise » l'arme légere du ridicule, si familiere à son devancier. Il saisit le glaive de la satyre, et court » du trône à la taverne, frappant indistinctement quiconque s'est éloigné du sentier de la vertu. » Ce n'est pas, comme Horace, un poëte souple » et muni de cette indifférence faussement appelée

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philosophique, qui s'amuse à reprendre quelques » travers de peu de conséquence, et dont le style, » voisin du langage ordinaire, coule au gré d'un >> instinct voluptueux. C'est un auteur incorrup

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tible, c'est un poëte bouillant qui s'éleve quel

quefois avec son sujet jusqu'au ton de la tragédie. » Austere et toujours conséquent aux mêmes principes, chez lui tout est grave, tout est imposant,

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» ou s'il rit, son rire est encore plus formidable » que sa colere. Il ne s'agit partout que du vice et » de la vertu, de la servitude et de la liberté, de la folie et de la sagesse. Il eut le courage de sa» crifier à la vérité tant de bienséances équivoques » et tant d'égards politiques, si chers à ceux dont » toute la morale ne consiste qu'en apparences. » Ne dissimulons point qu'il a mérité de justes reproches, non pas pour avoir dénoncé de grands » noms déshonorés, mais pour avoir alarmé la pudeur; aussi n'ai-je pas dessein de l'en justifier. » J'observerai seulement qu'Horace tant vanté pour » sa délicatesse, est encore plus licencieux, et qu'il » a le malheur de rendre le vice aimable; au lieu qu'en révélant des horreurs dont frémit la nature, » on voit qu'il entrait dans le plan de Juvénal de » montrer à quel point l'homme peut s'abrutir quand il n'a plus d'autres guides que la mollesse » et la cupidité. Sans ces taches qui sont du siecle » et non de l'auteur, on ne trouverait rien à

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reprendre dans ses écrits: l'esprit qui les dicta » ne respire que l'amour du bien public: s'il reprend » les ridicules, ce n'est qu'autant qu'ils tiennent » au vice ou qu'ils y menent. Quand il sévit, quand » il immole, on n'est jamais tenté de plaindre ses victimes, tant elles sont odieuses et difformes. » Je sais qu'on l'accuse encore d'avoir été trop

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avare de louanges; mais quand on connaît le » cœur humain, quand on ne veut ni se faire » illusion à soi-même ni tromper les autres, en » peut-on donner beaucoup? Il a peu loué : le » malheur des tems l'en dispensait. Ce qu'il pouvait » faire de plus humain, était de compâtir à la ser» vitude involontaire de quelques hommes secré» tement vertueux, mais emportés par le torrent. » Au reste, il était trop généreux pour flatter des » tyrans et pour mendier les suffrages de leurs es» claves. Les éloges ne sont donnés le plus souvent qu'en échange: il méprisait ce trafic. Il aimait » trop sincérement les hommes pour les flatter; mais ce qui pouvait leur nuire l'indignait, et nous » devons à cette noble passion la plus belle moitié » de son ouvrage, je veux dire la plus senten» cieuse et la plus généralement intéressante en » tout tems, en tous lieux. Après avoir combattu

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les vices reconnus pour tels, il comprit qu'il » fallait encore remonter à la source du mal et dissiper le prestige des fausses vertus. Car il faut, dit Montagne, ôter le masque aussi bien des » choses que des personnes. De là ces satyres ou plutôt ces belles harangues contre nos vains pré»jugés, plus forts et bien autrement accrédités » que la saine raison..

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