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car en peignant les travers d'autrui, il commence par avouer les siens, et s'exécute lui-même de la meilleure grace du monde; vous ne pouvez vous plaindre qu'il prêche, car il converse toujours avec vous. Il a trop de gaieté pout être taxé d'humeur ni de misanthropie. Enfin, le plus grand inconvénient de la morale c'est l'ennui, et il a tout ce qu'il faut pour y échapper; une variété de tons inépuisable, des épisodes de toute espece, des dialogues, des fictions, des apologues, des peintures de caracteres et l'usage le plus adroit de cette forme dramatique, toujours si heureuse partout où elle peut entrer, et dont, à son exemple, Voltaire, parmi les Modernes, a le mieux senti tous les avantages. C'est à lui qu'il appartenait de bien apprécier Horace c'est à lui qu'il sied bien de dire dans cette charmante épître, l'un des meilleurs ouvrages de sa vieillesse.

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Jouissons, écrivons, vivons, mon cher Horace.

Sur le bord du tombeau je mettrai tous mes soins
A suivre les leçons de ta philosophie,
A mépriser la mort en savourant la vie,
A lire tes écrits pleins de grace et de sens,
Comme on boit d'un vin vieux qui rajeunit les sens,
Avec toi l'on apprend à souffrir l'indigence,
A jouir sagement d'une honnête opulence,

A vivre avec soi-même, à servir ses amis,
A se moquer un peu de ses sots ennemis,

A sortir d'une vie ou triste ou fortunée,

En rendant grace aux dieux de nous l'avoir donnée.

Voilà le meilleur résumé de la lecture des saty→ res et des épîtres d'Horace; car on peut joindre ensemble ces deux ouvrages, qui ont à beaucoup d'égards le même. caractere, si ce n'est si ce que les épîtres, avec moins de force dans la pensée, ont cette aisance et ce naturel qui est du genre épistolaire. Mais le résultat est le même; c'est que l'auteur est le plus aimable des poëtes moralistes, et par cela même le plus utile, parce que ces préceptes, dont la vérité est à la portée de tous les esprits, dont l'application est de tous les momens, renfermés dans des vers pleins de précision et de facilité, vous accoutument à faire sur vous le même travail, le même examen qu'il fait sur lui, et qui a pour but, non pas de vous mener à une perfection dont l'homme est bien rarement capable, mais de vous apprendre à devenir chaque jour meilleur, et pour vous-même et pour les autres.

M. Dusaulx, de l'académie des inscriptions, à qui nous devons la meilleure traduction en prose qu'on ait encore faite de Juvénal, a mis à la tête de son ouvrage un très-beau parallele de ce satyrique et d'Horace son devancier. Je vais le

rapporter

en entier, quoiqu'un peu étendu : il est trop bien écrit pour paraître long. Mais en rendant justice au talent de l'écrivain, je me permettrai quelques observations en faveur d'Horace, qu'il me semble avoir traité un peu rigoureusement, en même tems qu'il montre pour Juvénal un peu de cette prédilection si excusable dans un traducteur qui s'est pénétré, comme il le devait, du mérite de son original.

« Comme on a coutume, pour déprimer Juvénal, » de le comparer avec Horace, je vais essayer de faire sentir que ces deux poëtes ayant en quelque sorte partagé le vaste champ de la satyre, l'un » n'en saisit que l'enjouement, l'autre la gravité, » et que chacun d'eux, fidele au but qu'il se proposait, a fourni sa carriere avec autant de succès, quoiqu'ils aient employé des moyens con→ » traires. Cette maniere de les envisager, plus mo

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rale peut-être que littéraire, n'en est pas moins capable de les montrer par le côté le plus inté» ressant. Voyons dans quelles circonstances l'un » et l'autre peignirent les mœurs, et ce qui cons» titue la différence de leurs caracteres..... Avec » autant de sagacité, plus de goût, mais beaucoup moins d'énergie que Juvénal, Horace semble » avoir eu plus d'envie de plaire que de corriger. Il » est vrai que la sanglante révolution qui venait

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» d'étouffer les derniers soupirs de la liberté romai» ne, n'avait pas encore eu le tems d'avilir absolu»ment les ames: il est vrai que les mœurs n'é» taient pas aussi dépravées qu'elles le furent après Tibere, Caligula et Néron. Le cruel, mais politique Octave semait de fleurs les routes qu'il »se frayait sourdement vers le despotisme. Les » beaux arts de la Grece, transplantés autour du » Capitole, fleurissaient sous ses auspices: le sou» venir des discordes civiles faisait adorer l'auteur » de ce calme nouveau. On se félicitait de n'avoir plus à craindre de se trouver à son réveil inscrit » sur des tables de proscription; et le Romain en » tutele oubliait, à l'ombre des lauriers de ses ancêtres, dans les amphithéâtres et dans le cirque, » ces droits de citoyen dont ses peres avaient été "si jaloux pendant plus de huit siecles. Jamais » la tyrannie n'eut des prémices plus séduisantes; » l'illusion était générale, ou si quelqu'un était » tenté de demander au petit neveu de César de quel droit il s'érigeait en maître, un regard de l'usurpateur le réduisait au silence. Horace, aussi » bon' courtisan qu'il avait été mauvais soldat; Horace, éclairé par son propre intérêt, et se sen» tant incapable de remplir avec distinction les » devoirs pénibles d'un vrai républicain, sentit jus

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qu'où pouvaient l'élever sans efforts la finesse,

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» les graces et la mesure de son esprit ; qualités peu considérées jusqu'alors chez un peuple turbulent, et qui n'avait médité que des conquêtes, Ainsi la politesse, l'éclat et la fatale sécurité de ce regne léthargique n'avaient rien d'odieux » pour un homme dont presque toute la morale » n'était qu'un calcul de voluptés, et dont les » différens écrits ne formaient qu'un long traité » de l'art de jouir du présent, sans égard aux mal» heurs qui menaçaient la postérité. Indifférent » sur l'avenir, et n'osant rappeler la mémoire du passé, il ne songeait qu'à se garantir de tout ce qui pouvait affecter tristement son esprit et » troubler les charmes d'une vie dont il avait ha» bilement arrangé le systême. Estimé de l'em» pereur, cher à Virgile, accueilli des grands et » partageant leurs délices, il n'affecta point de » regretter l'austérité de l'ancien gouvernement; » c'eût été mal répondre aux vues d'Auguste et de » Mécene, qui s'étaient déclarés ses protecteurs. » Le premier, dit-on, feignit de vouloir abdi» quer: le second l'en détourna. Il fit bien pour le prince et pour lui même. Que seraient-ils deve»nus tous deux au milieu d'un peuple libre, l'un

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avec son caractere artificieux et n'ayant plus de satellites, l'autre avec sa vaine urbanité? Dès» lors il fallut se taire ou parier en esclave. Mais

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