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et ne présentant qu'une espece d'énigme à deviner, ne donne pas le tems à la morale de répandre toute sa lumiere. Il ne faut faire d'aucun ouvrage un tour de force, et le mérite de la difficulté vaincue est ici le moindre de tous, attendu qu'il est en pure perte pour le lecteur. L'étendue de chaque genre d'écrit, quel qu'il soit, n'est ni rigoureusement déterminée ni entiérement arbitraire : le bon sens veut qu'elle soit en proportion avec le sujet.

Après Ésope, le fabuliste qui a eu le plus de réputation, c'est Phedre, qui, à la moralité simple et nue des récits du Phrygien, joignit l'agrément de la poésie. Son élégance, sa pureté, sa précision, sont dignes du siecle d'Auguste. Il ne fallait rien moins que Lafontaine pour le surpasser. Ce sera un objet intéressant et curieux que l'examen de tout ce que cet homme unique a su ajouter à ceux qui l'ont précédé, mais je dois le réserver pour cette partie de mon travail qui regardera les Modernes. Aujourd'hui, pour ne pas anticiper sur l'avenir, je ne m'arrête sur ces différens genres de poésie, qu'autant qu'il le faut pour caractériser les auteurs anciens. Le développement ne peut être complet que lorsque, parvenu au moment de la renaissance des lettres en Europe, et descendant de cette époque jusqu'à nos jours, nous verrons comment chaque genre a été modifié par des Cours de littér. Tome II. I

,

peuples nouveaux restreint ou étendu, affaibli ou surpassé; et c'est ainsi que les deux parties de ce Cours se rejoignant l'une à l'autre, acheveront de mettre dans tout leur jour des objets qui se tiennent par eux-mêmes, mais que le plan qu'il a fallu suivre m'a forcé de partager.

par

CHAPITRE I X.

De la

satyre ancienne.

SECTION PREMIERE.

Parallele d'Horace et de Juvénal.

QUINTILIEN dit en propres termes que la satyre appartient toute entiere aux Romains: Satyra quidem tota nostra est. Sans doute il veut dire seulement qu'en ce genre ils n'ont rien emprunté des Grecs; car il ne pouvait pas ignorer qu'Hypponax et Archiloque ne s'étaient rendus que trop fameux leurs satyres, qui pouvaient plutôt s'appeler de véritables libelles, si l'on en juge par les effets horribles qui en résulterent et par la punition de leurs auteurs. Hypponax fut chassé de son pays, et Archiloque fut poignardé. Ce dernier avait si cruellement diffamé Lycambe, qui lui avait refusé sa fille, que le malheureux se donna la mort. Archiloque fut l'inventeur du vers ïambe, dont les Grecs et les Latins se servirent dans leurs pieces de théâtre. Mais dans ses mains ce fut, dit Horace, l'arme de la rage. Le lyrique latin

avoue qu'il s'est approprié cette mesure de vers dans quelques-unes de ses odes; mais il ajoute avec raison qu'il est bien loin d'en avoir fait un si détestable usage. Ses satyres, ainsi que celles de Juvénal et de Perse, sont écrites en vers hexametres. Ainsi l'assertion de Quintilien se trouve suffisamment justifiée, puisque les satyriques latins n'imiterent les Grecs ni dans la forme des vers ni dans le genre des sujets.

La satyre, suivant les critiques les plus éclairés, est un mot originairement latin. Il n'a rien de commun avec le nom que portent dans la fable ces êtres monstrueux qu'elle représente entiérement velus et avec des pieds de chevre. Il vient, du mot satura, qui, dans les auteurs de la plus ancienne latinité, signifiait un mélange de toutes, sortes de sujets. Dans la suite on l'appliqua plus. particuliérement aux ouvrages qui avaient pour objet la raillerie et la plaisanterie. Enfin Ennius et Lucilius déterminerent la nature de ce genre d'écrire, et l'on ne donna plus le nom de satyres qu'aux poésies dont le sujet était la censure des mœurs. Lucilius surtout s'y rendit très-célebre, et quoiqu'il eût écrit du tems des Scipions, il avait encore dans le siecle d'Auguste des partisans si zélés, qu'on murmura beaucoup contre Horace,

qui, en louant le sel de ses écrits et sa courageuse hardiesse à démasquer le vice, avait comparé son style incorrect, diffus et inégal à un fleuve qui roule beaucoup de fange avec quelques parcelles d'or. Quintilien lui-même trouve ce jugement d'Horace trop sévere. Il nous est impossible de savoir au juste à qui l'on doit s'en rapporter : il ne nous reste que quelques vers de Lucilius.

Heureusement nous sommes à portée de confirmer l'opinion de ce même Quintilien sur Horace, qui, selon lui, est infiniment plus pur et plus châtié que Lucilius, et a excellé surtout dans la connaissance de l'homme.

Horace, l'ami du bon sens,
Philosophe sans verbiage,

Et poëte sans fade encens,

a dit Gresset; et il est vrai qu'on ne peut ni
railler plus finement ni louer avec plus de déli-
catesse. Sa morale est à la fois douce et pure; elle
n'a rien d'outré, rien de fastueux, rien de farou-
che. Nul poëte n'a mieux connu le langage qui
convient à la raison; il ne prêche pas la vérité, il
la fait sentir; il ne commande pas la sagesse,
la fait aimer Il connaît les dangers du rôle de
censeur, et il trouve en lui-même de quoi les
éviter tous. Vous ne pouvez l'accuser de morgue;

il

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