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est le code éternel du bon goût, on conviendra qu'Horace est un des meilleurs esprits que la nature ait pris plaisir à former.

J'ai hasardé la traduction de quelques odes d'Horace, non pas assurément que je le croie facile à traduire; mais Horace a beaucoup d'esprit proprement dit, et l'esprit est de toutes les langues. Voyons-le d'abord dans le genre héroïque j'ai choisi l'Ode à la Fortune. On pourra la comparer à celle de Rousseau, et l'on verra qu'une ode française ressemble très-peu à une ode latine (1). Le sujet de celle-ci était fort simple. On parlait d'une descente en Angleterre, qu'Auguste devait conduire lui-même, et qui n'eut pas lieu on parlait en même tems d'une guerre contre les Parthes Le poëte invoque la Fortune, et lui recommande Auguste et les Romains. Mais il commence par se réconcilier avec les dieux, qu'en sa qualité d'épicurien il avait fort négligés. Il s'étend ensuite sur les attributs de la Fortune, et finit, après l'avoir invoquée, par déplorer les guerres civiles et la corruption des mœurs. Tel est le plan de cette ode.

:

(1) J'avertis que j'ai rejoint l'ode O diva gratum qua regis Antium, avec la précédente, Parcus deorum cultor et infrequens, qui me paraît en être le commencement, et en avoir été détachée fort mal à propos : il y a même des éditions ou elles sont réunies.

J'ai risqué, en la traduisant, de changer plusieurs fois le rythme, pour rendre mieux la variété des tons, et suppléer, quand les phrases demandaient une certaine étendue, à la facilité qu'avaient les Grecs et les Latins d'enjamber d'une strophe à l'autre.

D'Épicure éleve profane,

Je refusais aux dieux des vœux et de l'encens.
Je suivais les égaremens

Des sages insensés qu'aujourd'hui je condamne.
Je reconnais des dieux : c'en est fait je me rends.

J'ai vu le Maître du tonnerre,

Qui, la foudre à la main, se montrait à la Terre ;
J'ai vu dans un ciel pur voler l'éclair brillant,
Et les voûtes éternelles

S'embrâser des étincelles

Que lançait Jupiter de son char foudroyant.

Le Styx en a mugi dans sa source profonde:
Du Ténare trois fois les portes ont tremblé.

Des hauteurs de l'Olympe aux fondemens du Monde,
L'Atlas a chancelé.

Oui, des puissances immortelles

Dictent à l'Univers d'irrévocables lois.

La Fortune agitant ses inconstantes ailes,
Plane d'un vol bruyant sur la tête des rois.
Aux destins des États son caprice préside.
Elle seule dispense ou la gloire ou l'affront,
Enleve un diadême, et d'un essor rapide,
Le porte sur un autre front,

Déesse d'Antium, ô déesse fatale!

Fortune! à ton pouvoir qui ne se soumet pas ?
Tu couvres la pourpre royale

Des crêpes affreux du trépas.

Fortune, ô redoutable reine!

Tu places les humains au trône ou sur l'écueil;
Tu trompes le bonheur, l'espérance et l'orgueil,
Et l'on voit se changer, à ta voix souveraine,
La faiblesse en puissance et le triomphe en deuil.
Le pauvre te demande une moisson féconde,
Et l'avide marchand, sur le gouffre de l'onde
Rapportant son trésor,

Présente à la Fortune, arbitre des orages,
Ses timides hommages,

Et te demande un vent qui le conduise au port.
Le Scythe vagabond, le Dace sanguinaire,
Et le guerrier latin, conquérant de la Terre,
Craint tes funestes coups.

De l'Orient soumis les tyrans invisibles,
A tes autels terribles,

L'encensoir à la main, fléchissent les genoux.

Tu peux ( et c'est l'effroi dont leur ame est troublée), Heurtant de leur grandeur la colonne ébranlée,

Frapper ces demi-dieux;

Et soulevant contre eux la révolte et la

Cacher dans la poussiere

guerre,

Le trône où leur orgueil crut s'approcher des cieux.

La Nécessité cruelle

Toujours marche à ton côté,

De son sceptre détesté

Frappant la race mortelle.

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Cette fille de l'Enfer

Porte dans sa main sanglante

Une tenaille brûlante,

Du plomb, des coins et du fer.

L'Espérance te suit, compagne plus propice,
Et la Fidélité, déesse protectrice,

Au ciel tendant les bras,

Un voile sur le front, accompagne tes pas;
Lorsqu'annonçant les alarmes,

Sous un vêtement de deuil,

Tu viens occuper le seuil

D'un palais rempli de larmes,
D'où s'éloigne avec effroi,
Et le vulgaire perfide,

Et la courtisane avide,

Et ces convives sans foi,

Qui dans un tems favorable,

Du mortel tout puissant par le sort adopté,
Venaient environner la table

Et s'enivraient du vin de sa prospérité.

Je t'implore à mon tour, déesse redoutée;
Auguste va descendre à cette île indomptée
Qui borne l'Univers (1);
Tandis que nos guerriers vont affronter encore
Ces peuples de l'aurore,

Qui seuls ont repoussé notre joug et nos fers.

Ah! Rome vers les dieux leve des mains coupables.
Ils ne sont point lavés, ces forfaits exécrables

(1) L'Angleterre, que les Romains regardaient comme

une extrémité de l'Univers.

Qu'ont

Qu'ont vus les immortels.

Elles saignent encor, nos honteuses blessures
La Fraude et les Parjures,

? L'Inceste et l'Homicide entourent les autels.

N'importe, c'est à toi, Fortune, à nous absoudre.
Porte aux antres brûlans où se forge la foudre, I
Nos glaives émoussés.

Dans le sang odieux des guerriers d'Assyrie,

NOTES

Il faut que Rome expiego m. Les flots de sang romain qu'elle-même a versés, il li Quelques idées de cette ode sont empruntées d'une ode de Pindare, où il invoque la Fortune: c'est la douzieme des Olympiques.

Fille de Jupiter, Fortune impérieuse,

Les conseils, les combats, les querelles des rois,
La course des vaisseaux sur la mer orageuse,

Tout reconnaît tes lois.

Le ciel mit sur nos yeux le sceau de l'Ignorance. De nos obscurs destins nous portons le fardeau, ⚫ De revers en succès traînés par l'Espérance,

Jusqu'au bord du tombeau.

Le Bonheur nous séduit; le Malheur nous accable.
Mais nul ne peut percer la nuit de l'avenir;

Tel qui se plaint aux dieux de son sort déplorable,
Demain va les bénir, etc.

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On peut se convaincre, en lisant cette ode, de ce que j'ai dit ci-dessus du poëte lyrique des Romains, qu'il semblait écouter et suivre une Cours de littér. Tome II,

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