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C'est elle qui, régnant dans les cœurs soupçonneux,
Corrompt tous les plaisirs, relâche tous les noeuds;
Fait de la vie entière une route épineuse,
Rend le bonheur craintif et l'amitié douteuse.
A la cour d'un tyran regardez Damoclès (8):
En vain de chants flatteurs résonne le palais;
En vain sur une table, en délices féconde,
Tous les tributs de l'air, de la terre et de l'onde,
Se montrent réunis ; pâle, et tout effrayé
De cette menaçante et sinistre amitié,

Il effleure, en tremblant, de ses lèvres livides,
De ces mets affadis les douceurs insipides;
Vers les lambris dorés lève un œil éperdu,
Et voit le fer mortel sur son front suspendu.
Telle est la Défiance au banquet de la vie.
Que dis-je ? son poison en corrompt l'ambroisie :
Elle-même contre elle aiguise le poignard,
Donne aux ombres un corps, un projet au hasard;
Charge un mot innocent d'un crime imaginaire,
Et s'effraie à plaisir de sa propre chimère :

Ainsi dans leurs forêts les crédules humains
Craignoient ces dieux affreux qu'avoient formés leurs mains.
Quel besoin plus pressant nous donna la nature,
Que de communiquer les chagrins qu'on endure,
De faire partager sa joie et sa douleur,

Et dans un cœur ami de répandre son cœur?
Toi seul, triste martyr de ta sombre prudence,
Toi seul ne connois pas la douce confidence!

En vain de ton secret tu te sens oppresser,
Au sein de quels amis l'oseras-tu verser?
Des amis ! Crains d'aimer; les plus pures

délices Dans ton cœur soupçonneux se changent en supplices! Des plus mortels poisons l'abeille fait son miel:

Toi, des plus doux objets tu composes ton fiel;
Ton cœur dans l'amitié prévoit déja la haine :
De soupçons en soupçons l'amour jaloux se traîne.
Un génie ennemi brise tous tes liens ;

Tu n'as plus de parents ni de concitoyens :
Te voilà seul, va, fuis loin des races vivantes;
Habite avec les rocs, les arbres et les plantes,
Dans quelque coin désert, dans quelque horrible lieu,
Où tu ne pourras plus calomnier que Dieu.
Mais à voir les humains tu ne dois plus prétendre,
Tu ne dois plus les voir, ne dois plus les entendre.
Ton ame morte à tout ne vit que par l'effroi :
Les morts sont aux vivants moins étrangers que toi:
Le regret les unit; et toi, tout t'en sépare.

Hélas! il le connut ce tourment si bizarre,
L'écrivain qui nous fit entendre tour-à-tour
La voix de la raison et celle de l'amour.
Quel sublime talent! quelle haute sagesse !
Mais combien d'injustice! et combien de foiblesse !
La Crainte le reçut au sortir du berceau:
La Crainte le suivra jusqu'aux bords du tombeau.
Vous, qui de ses écrits savez goûter les charmes,
Vous tous, qui lui devez des leçons et des larmes,

Pour prix de ces leçons et de ces pleurs si doux,
Cœurs sensibles, venez, je le confie à vous.
Il n'est pas importun: plein de sa défiance,
Rarement des mortels il souffre la présence;
Ami des champs, ami des asiles secrets,
Sa triste indépendance habite les forêts.
Là-haut sur la colline il est assis peut-être (9)
Pour saisir, le premier, le rayon qui va naître :
Peut-être au bord des eaux, par ses rêves conduit,
De leur chute écumante il écoute le bruit;
Ou, fier d'être ignoré, d'échapper à sa gloire,
Du pâtre qui raconte il écoute l'histoire:

Il écoute et s'enfuit; et, sans soins, sans desirs,
Cache aux hommes, qu'il craint, ses sauvages plaisirs .
Mais, s'il se montre à vous, au nom de la nature,
Dont sa plume éloquente a tracé la peinture,
Ne l'effarouchez pas, respectez son malheur !
Par des soins caressants apprivoisez son cœur :
Hélas! ce cœur brûlant, fougueux dans ses caprices,
S'il a fait son tourment, il a fait vos délices.
Soignez donc son bonheur, et charmez son ennui:
Consolez-le du sort, des hommes et de lui.
Vains discours! rien ne peut adoucir sa blessure ;
Contre lui ses soupçons ont armé la nature.
L'étranger, dont les yeux ne l'avoient vu jamais,
Qui chérit ses écrits, sans connoître ses traits,
Le vieillard qui s'éteint, l'enfant simple et timide (1o),
Qui ne sait pas encor ce que c'est qu'un perfide,

Son hôte, son parent, son ami, lui font peur(''):
Tout son cœur s'épouvante, au nom de bienfaiteur.
Est-il quelque mortel, à son heure suprême,
Qui n'expire appuyé sur le mortel qu'il aime?
Qui ne trouve des pleurs dans les
yeux attendris
D'un frère ou d'une sœur, d'une épouse ou d'un fils?
L'infortuné qu'il est, à son heure dernière,
Souffre à peine une main qui ferme sa paupière !
Pas un ancien ami qu'il cherche encor des yeux!
Et le soleil lui seul a reçu ses adieux.

Malheureux ! le trépas est donc ton seul asile:

Ah! dans la tombe au moins repose enfin tranquille;
Ce beau lac, ces flots purs, ces fleurs, ces gazons frais,
Ces pâles peupliers, tout invite à la paix.

Respire donc enfin de tes tristes chimères:
Vois accourir vers toi les épouses, les mères;
Regarde ces amants qui viennent, chaque jour,
Verser sur ton cercueil les larmes de l'amour;
Vois ces groupes d'enfants se jouant sous l'ombrage,
Qui de leur liberté viennent te rendre hommage;
Et dis, en contemplant ces doux titres d'honneur:
« Je ne fus point heureux, mais j'ai fait leur bonheur (12). »
Moi, cependant, au pied de cette tombe agreste,
D'un nom si glorieux monument si modeste,
Par toi-même inspiré, je reprends mes pinceaux :
Je peindrai de la vie et les biens et les maux.
L'Imagination, dont je vante les charmes,
Aux tristes préjugés prête souvent des armes ;

De ce que nous craignons elle augmente l'effroi ;
Contre elle la raison va combattre avec moi.
La mort, la pauvreté, l'obscurité que j'aime,
Pour les ambitieux, pire que la mort même,
Ces maux exagérés par
une lâche erreur,

De leur masque effrayant vont perdre la terreur;
Le sage, qui de loin redoute leur menace,
Apprend à les braver, s'il les regarde en face.

Voyez ce fier coursier qui, farouche, indompté,
Au moindre objet nouveau se cabre épouvanté!
Que son guide prudent doucement l'y ramene,
Il avance avec crainte, il approche avec peine;
Mais bientôt, mieux instruit, il calme sa terreur,
Et reprend son courage en perdant son erreur.
Ainsi fait la raison, et ce fidéle guide,
Aguerrissant notre ame ombrageuse et timide,
Rend moins affreux les maux observés de plus près.
Mais la sagesse même a souvent ses excès.

Pourquoi veux-tu, dis-moi, sage et profond Montagne,
Que l'aspect de la mort en tout temps m'accompagne?
Je ne me sens point fait pour un si triste effort:
C'est mourir trop long-temps, que voir toujours la mort!
Je sais qu'au bord du Nil, un solennel usage(13)
De la mort aux festins associoit l'image;
Mais ce récit m'étonne, et ne me séduit pas.
Que le galant Horace, au milieu d'un repas,
En nous montrant de loin les funèbres demeures,
Nous invite à saisir le vol léger des heures,

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