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Et la gloire si belle, et les plaisirs si doux :
Non, tu sais espérer; ce trésor les vaut tous.

L'âge mûr, à son tour, solstice de la vie,
S'arrête, et sur lui-même un instant se replie,
Et tantôt en arrière, et tantôt devant soi,

Se tourne sans regret, ou marche sans effroi.

Ce n'est plus l'homme en fleurs, nous faisant des promesses;
C'est l'homme en plein rapport, déployant ses richesses;
Ses esprits ont calmé leurs bouillons trop ardents;
Sa prudence est active, et ses transports prudents;
Ses conseils sont nos biens, sa sagesse est la nôtre;

La moitié de sa vie est la leçon de l'autre ;
Et sur le temps passé mesurant l'avenir,
Prévoir, pour sa raison, n'est que se souvenir.

Hélas! telle n'est point la vieillesse cruelle;
Elle n'attend plus rien, on n'attend plus rien d'elle.
Si la raison encor lui permet de prévoir,
C'est des yeux de la crainte, et non plus de l'espoir.
Voyez ce chêne antique! en son âge encor tendre,
Dans les champs paternels il aimoit à s'étendre;
Chaque jour, plus robuste et plus audacieux,
Il plongeoit dans la terre, il s'élançoit aux cieux;
Mais quand l'âge a durci sa racine débile,
Dans la terre marâtre il languit immobile;
Et voilà la vieillesse ! adieu les grands desseins,
Adieu l'amour, les voeux, l'hommage des humains!
Pour le soleil couchant il n'est point d'idolâtre :
Déplacé sur la scène, il descend du théâtre;

Alors, n'attendant rien ni du temps ni d'autrui,
Il revient au présent, se ramène sur lui.
Que dis-je ? le présent est un tourment lui-même.
Il se rejette donc vers le passé qu'il aime;
Il cherche à consoler, par un doux souvenir,
Et la douleur présente, et les maux à venir;
Et même, lorsqu'il touche à l'extrême vieillesse,
Quelque ombre de bonheur charme encor sa foiblesse.
Du festin de la vie, où l'admirent les dieux,
Ayant goûté long-temps les mets délicieux,
Convive satisfait, sans regret, sans envie (3),
S'il ne vit pas, du moins il assiste à la vie.
Ce qu'il fit autrefois, il le voit aujourd'hui,
Et le présent lui-même est le passé pour lui.

Ne vîtes-vous jamais, au bord de la Tamise,
Cette noble retraite aux vieux guerriers promise?
La jeunesse, à ses yeux, part, navigue et revient;
Que fait le vieux nocher? il voit, il se souvient,
Se rappelle les mers, les nations lointaines,
Ses dangers, ses combats, ses plaisirs et ses peines.
Il recommande aux vents les jeunes matelots;
Se rembarque en idée, et les suit sur les flots.
Ainsi l'homme repose, assis sur le rivage,
Et de la vie encore embrasse au moins l'image.
Tant le ciel entretient la douce illusion!

Tout âge a ses faveurs; mais c'est à la Raison
A diriger son cours. Elle dit à l'enfance:

« Je ne viens point troubler ta douce insouciance;

Vis, jouis, sois heureux, quand tu le peux encor,
Mais laisse mes conseils diriger ton essor;

La vie, en commençant, t'a fait d'heureux mensonges:
Je ne veux point t'ôter, mais te choisir tes songes. »
Au jeune homme, emporté par ses desirs fougueux,
Elle dit : « Sois plus sage, et modère tes vœux.
Veux-tu, dans ta fureur, d'un vain regret suivie,
De ses plaisirs futurs déshériter la vie?
User fait le bonheur, abuser le détruit. »
Lorsque dans ses forêts il veut cueillir un fruit,
Du sauvage, dit-on, l'avide imprévoyance (4)
Quelquefois coupe l'arbre, avec lui l'espérance.
« Voilà le despotisme, » a dit un grand auteur.
Je dis: « Voilà le vice; il use le bonheur,
Il tarit l'avenir. » La vie est un passage;
Ménageons prudemment les vivres du voyage.
Le fou vers les plaisirs s'élance avec ardeur:
Le sage en prend le miel, mais sans blesser la fleur.
Cueille encor, si tu veux, cette fleur fraîche éclose;
Mais laisse le bouton à côté de la rose.

L'âge viril, plus calme, a pourtant son écueil.
Alors le doux plaisir fait place au noble orgueil;

Il vient, montrant des croix, des cordons et des mitres.

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Reçois, dit la Raison, mais ennoblis ces titres;

Souvent au plus haut rang est le cœur le plus bas;

Tout honneur avilit qui ne l'honore pas. »

Mais quand l'homme vieillit, « Hâte-toi, lui dit-elle ! Qui sait si tu verras la vendange nouvelle?

r. IX. L'IMAGIN, 11.

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guerre,

Le doux présent échappe; avant qu'il soit détruit,
Goûte bien son bonheur, savoure bien son fruit. »
Lorsqu'aux hôtes des bois le chasseur fait la
De moment en moment l'enceinte se resserre:
Ainsi l'âge nous presse; et, chassant les desirs,
Resserre chaque jour le cercle des plaisirs.
Ne sens-je point déja la vieillesse ennemie
Déchirer mes liens et dénouer ma vie?

Raffermi sous ces nœuds, au défaut des plaisirs,
N'a-t-on pas l'amitié pour charmer ses loisirs?
N'a-t-on pas des enfants? Dirigeons leur jeune âge,
Laissons-leur nos vertus, nos projets en partage;
Les travaux que pour eux commença notre amour,
Nos enfants, dirons-nous, les finiront un jour.
Ainsi, prêt à mourir, l'homme apprend à renaître,
Et dans l'être qu'il aime il prolonge son être.
Tant le monde est lié! tant Dieu voulut unir
Au père les enfants, au présent l'avenir!

De la saine raison tel est le doux langage.
Suivons ses lois : la vie est un terrain sauvage;
Le germe du bonheur n'y croît point au hasard :
Enfant de la nature, il demande un peu
d'art.

La liberté d'abord nourrit sa jeune plante (5):
Non cette liberté farouche, menaçante,
Qui, d'un peuple superbe, ardent, impétueux,
Soulève tout-à-coup les flots tumultueux,
Se plaît dans la tempête, et s'ennuie au rivage;
Mais cette liberté douce, discrète et sage,

Qui, cheminant sans bruit, d'un pas tranquille et sûr,
Va jouir à l'écart de son bonheur obscur.

Les potentats du Nord, du Midi, de l'Aurore,
L'écharpe aux trois couleurs, les noirs drapeaux du Maure,
Ne l'épouvantent pas. Sous le casque, en turban,
Sous les lois d'un sénat, sous les lois d'un divan,
Elle ne reçoit point, ne donne point d'entraves:
Il n'est que les tyrans qui soient vraiment esclaves.
Qui craint de commander, risque peu de servir.
Voilà la liberté qu'on ne peut asservir,

Qui ne vient point des lois, d'un code, d'un système,
Qu'on doit à sa raison, qu'on se fait à soi-même.

Je la chéris pour moi, je la conseille à tous.
Heureux! cent fois heureux, qui, maître de ses goûts,
Régle en paix de ses jours la course volontaire!
Le plaisir le plus doux est celui qu'on préfère.
L'Imagination à son gré veut choisir
Ses études, ses plans, ses travaux, son loisir;
La raison et l'instinct ont le même langage.
Observez cet oiseau dont vous dorez la cage!
Seul, captif, à l'aspect de l'immense horizon,
De son bec, de son aile, il heurte sa prison;
Il regrette les champs, l'air, le ruisseau limpide :
Que sa cage s'entr'ouvre! il part d'un vol rapide;
Et les monts, et la plaine, et les prés, et les bois,
Il veut tout, choisit tout, est par-tout à-la-fois.
Ma muse n'en a point l'harmonieux ramage;
Mais elle en a gardé l'humeur libre et sauvage.

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