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Loin d'ici le poëte et le peintre profane,

Loin la lyre d'Homère et les pinceaux d'Albane!
Cet amour innocent, pur et délicieux,

Veut des pinceaux trempés dans les couleurs des cieux :
Milton prend sa palette; et la fleur près d'éclore,
L'eau pure, qu'un berger n'a point troublée encore,
Les doux rayons du jour sont moins purs, sont moins doux,
Que les chastes couleurs dont il peint ces époux.
Est-ce donc là celui qui, du séjour du crime,
Creusoit au fier Satan l'épouvantable abîme;
Qui l'ensevelissoit dans des gouffres de feu,

Sous la masse du monde et sous le poids d'un Dieu ?
C'est lui: ce Dieu qu'il chante échauffe son délire;
Sa main des séraphins semble toucher la lyre;
Il semble qu'introduit dans les choeurs éternels,
Il répéte aux humains les chants des immortels.
Allumez donc vos feux au feu de son génie.

De tableaux sérieux quelquefois rembrunie,
L'Imagination, pour égayer sa cour,

Permet aux Ris légers d'y paroître à leur tour.
Un jour que de l'ennui les vapeurs léthargiques
S'exhaloient d'un amas d'écrits soporifiques,
D'insipides sonnets, d'odes sans majesté,
De poëmes sans art, de chansons sans gaieté,
Pour chasser les vapeurs de la mélancolie,
Ma déesse appela le Goût et la Folie,
Et leur dit d'enfanter un prodige nouveau.

L'Arioste naquit: autour de son berceau

Tous ces légers esprits, sujets brillants des fées,

Sur un char de saphirs, des plumes pour trophées,
Leurs cercles, leurs anneaux et leur baguette en main,
Au son de la guitare, au bruit du tambourin,
Accoururent en foule; et, fétant sa naissance,
De combats et d'amour bercèrent son enfance:

Un prisme pour hochet, sous mille aspects divers,
Et sous mille couleurs lui montra l'univers.
Raison, gaieté, folie, en lui tout est extrême;
Il se rit de son art, du lecteur, de lui-même ;
Fait naître un sentiment qu'il étouffe soudain;
D'un récit commencé rompt le fil dans sa main,
Le renoue aussitôt; part, s'élève, s'abaisse:
Ainsi, d'un vol agile essayant la souplesse,
Cent fois l'oiseau volage interrompt son essor;
S'éléve, redescend, et se relève encor,
S'abat sur une fleur, se pose sur un chêne.
L'heureux lecteur se livre au charme qui l'entraîne:
Ce n'est plus qu'un enfant qui se plaît aux récits
De géants, de combats, de fantômes, d'esprits;
Qui, dans le même instant, desire, espère, tremble,
S'irrite ou s'attendrit, pleure et rit tout ensemble:
Trop heureux, si sa muse ornoit la vérité!

Non qu'ici je prétende avec sévérité
Proscrire la féerie, aimable enchanteresse,
Héritière aujourd'hui des fables de la Grèce;
Mais, fille de l'aimable et sage fiction,
Que sa mère l'instruise à suivre la raison;

L'art en a plus de force, et n'a pas moins de grace.
Voyez cet arbre aux cieux monter avec audace:
Son feuillage est peuplé d'harmonieux oiseaux,
Ses fleurs parfument l'air; ses ondoyants rameaux,
Amusent les zéphyrs; mais sa base profonde
Attache sa racine aux fondements du monde.
Telle est la Poésie; ainsi cet art flatteur
Fonde sur la raison son prestige enchanteur.
Voyez, dans ses récits, le fabuleux Ovide,
Qui d'erreurs en erreurs conduit l'esprit avide,
De prodiges sans nombre embellir l'univers !
La raison en secret présidoit à ses vers:

C'étoient des fictions, mais non pas des chimères;
Chaque être, en dépouillant ses traits imaginaires,
Reste dans la nature et dans la vérité.

Les bois offrent encore à l'œil désenchanté
L'arbre de Philémon, celui de sa compagne:
Narcisse est une fleur, Atlas une montagne;
Hyacinthe expirant ne meurt pas tout entier;
Que Daphné disparoisse, il nous reste un laurier;
Du palais du Soleil les brillantes demeures,
Ses coursiers enflammés, attelés par les Heures,
En s'évanouissant laisseront sous nos yeux
Et l'ordre des saisons, et la marche des cieux.
Dans Ixion enfin, dans la vapeur qu'il aime,
L'Imagination se peignit elle-même :
Ainsi la vérité sort de la fiction;

Ainsi la vigilante et sévère raison

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Ne se laisse bercer que par d'heureux mensonges,

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Et veut à son réveil aimer encor ses songes.
L'Arioste lui seul l'oublie impunément.
Quelques sages, fâchés de leur amusement,
S'efforcent de blâmer sa fiction frivole,

Sa morale un peu libre et sa muse un peu folle;
Mais qui peut gravement censurer ses écrits?
La plainte commencée expire dans les ris.

Avec plus de grandeur, avec non moins de charmes,
Le Tasse sur l'autel va consacrer les armes

Qui du tombeau d'un Dieu doivent venger l'affront.
Des palmes dans les mains, le casque sur le front,
Sous les drapeaux du ciel et l'oeil sacré des anges,
Du Christ aux fiers combats il conduit les phalanges;
Et la religion, et la gloire et l'amour,

De lauriers et de fleurs le parent tour-à-tour.

Que ces pinceaux sont vrais ! qu'il trace avec génie
Et la fière Clorinde, et la tendre Herminie!
Ami de la féerie, en ses vers séducteurs
Lui-même est le premier de tous les enchanteurs;
Et, noble, intéressante, et brillante, et rapide,
. Sa muse a, pour charmer, la baguette d'Armide.

O Voltaire! combien ton sort fut moins heureux (26)!
Ton sujet, un peu triste, est trop près de nos yeux,
Trop voisin de nos temps. L'histoire rigoureuse
Sans doute effaroucha la fable ingénieuse,
Qui de loin nous montrant la riche fiction,
Se plaît dans les vieux temps et vit d'illusion:

Aussi tu préféras, dans ton style sévère,

La plume de Tacite à la lyre d'Homère.

Mais quel Français peut voir, sans en être attendri,
Les douleurs de d'Estrée et l'ame de Henri?

Je ne citerai pas ta trop fameuse Jeanne;
Si l'esprit lui sourit, la vertu la condamne;
Et la chaste Pudeur, alarmée en secret,
Du coin de l'oeil à peine en effleure un feuillet.
Mais combien de lauriers réunis sur ta tête!
Conteur, historien, philosophe, poëte,
Comment, fier, gracieux, fort et doux à-la-fois,
De tant de sentiments peux-tu porter le poids?
Si l'on peut au géant comparer le grand homme,
Je crois voir cet Atlas que la fable renomme,
Qui, seul, réunissant les diverses saisons,
Embelli de vergers, hérissé de glaçons,
Entendoit tour-à-tour les zéphyrs, les orages,
La chute des torrents, les combats des nuages,
Les hymnes des mortels, les doux concerts des dieux,
S'appuyoit sur la terre et supportoit les cieux.

L'Éloquence elle-même, ou sublime, ou touchante,
Que ne doit-elle pas à ce don que je chante!
L'Imagination redouble son pouvoir:
C'est trop peu d'éclairer, elle sait émouvoir;
Sans elle la raison glisseroit sur notre ame.

Avant qu'un Genevois gravât en traits de flamme,
Ce que Locke autrefois avoit dit avant lui,

La clarté sans chaleur vainement avoit lui.

T. IX. L'IMAGIN. II.

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