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L'Imagination, dans cet auteur qu'elle aime,
Du modeste apologue a fait un vrai poëme :
Il a son action, son nœud, son dénouement.
Chez lui, l'utilité s'unit à l'agrément;

Le vrai nous blesse moins en passant par sa bouche:
Il ménage l'orgueil qu'un reproche effarouche;
Sous l'attrait du plaisir il cache la leçon,

Et par d'heureux détours nous mène à la raison.
Cet art ingénieux, que la crainte a fait naître,
Qu'inventa le sujet pour conseiller son maître,
Par Ésope l'esclave, et Phédre l'affranchi,

A Rome et chez les Grecs fut sans faste enrichi.
Il reçut le bon sens, l'élégante justesse ;
Mais né dans l'esclavage, il en eut la tristesse.
La Fontaine y jeta sa naïve gaieté.

. Quel instinct enchanteur! quelle simplicité!
Il ignore son art, et c'est son art suprême;

Il séduit d'autant plus, qu'il est séduit lui-même. Le chien, le bœuf, le cerf, sont vraiment ses amis; A leur

grave conseil par lui je suis admis. Louis qui n'écoutoit, du sein de la victoire,

Que des chants de triomphe et des hymnes de gloire,
Dont, peut-être, l'orgueil goûtoit peu la leçon

Que reçoit dans ses vers l'orgueil du roi lion,
Dédaigna La Fontaine, et crut son art frivole.
Chantre aimable! ta muse aisément s'en console.

Louis ne te fit point un luxe de sa cour;

Mais le sage t'accucille en son humble séjour;

Mais il te fait son maître, en tous lieux, à tout âge:
Son compagnon des champs, de ville, de voyage;
Mais le cœur te choisit, mais tu reçus de nous,
Au lieu du nom de grand, un nom cent fois plus doux;
Et, qui voit ton portrait, le quittant avec peine,

Se dit avec plaisir, « c'est le bon La Fontaine. »
Et dans sa bonhomie et sa simplicité,

Que de grace! et souvent, combien de majesté !
S'il peint les animaux, leurs mœurs, leur république,
Pline est moins éloquent, Buffon moins magnifique;
L'épopée elle-même a des accents moins fiers..
De la divinité que célébrent mes vers,
La sublime épopée est le plus beau domaine.
C'est là qu'elle commande et qu'elle habite en reine.
Salut! tôi, le plus cher de tous ses favoris (21),
Vieil Homère, salut! De tes divins écrits
Tous les talents divers empruntent leur puissance.
C'est toi que l'on peignoit ainsi qu'un fleuve immense,
Où, la coupe à la main, venoient puiser les arts.
Virgile sur toi seul attachoit ses regards;
Bouchardon des héros t'empruntoit les modèles;
Ta muse à Bossuet prêta souvent ses ailes (22);
Phidias sur le tien tailla son Jupiter,

Tel que tu peins ce dieu sur le trône de l'air,
Bien loin des autres dieux qui devant lui s'abaissent ;
Ainsi tous tes rivaux devant toi disparoissent:
Ou, tel que tu peignois ce souverain des cieux,
De sa puissante main enlevant tous les dieux;

Les maîtres du pinceau, les rois de l'harmonie,
Tu les suspendis tous à ton puissant génie.
Par-tout cher à la Grèce, et par-tout citoyen,
Sept langages divers enrichissent le tien.
Que n'as-tu point tracé dans ta vaste peinture?
Les champs et les cités, les arts et la nature,
Ton ouvrage peint tout; tel brille dans tes vers
Le bouclier céleste où se meut l'univers (23).
Que tu m'offres du cœur des peintures savantes!
Les mains du sang d'Hector encor toutes fumantes,
Achille au nom de père adoucit sa fierté;
Par la voix des vieillards tu louas la beauté.

Qui peint mieux les héros que ta muse guerrière?
Alexandre pleura de n'avoir point d'Homère.
Ton berceau fut caché! qu'importe aux nations:
Le Nil nous tait sa source et nous verse ses dons;
Le monde est ta patrie: enseigne tous les âges,
Plais à tous les esprits, vis dans tous les langages;
Tes vers, que la nature a marqués de son sceau,
Comme elle en vieillissant ont un charme nouveau.
L'antiquité crédule a perdu ses miracles;

Tous ces dieux que tu fis, leur culte, leurs oracles;
Tout est anéanti; tes autels sont debout;

Tu n'eus point de tombeau, mais ton temple est par-tout.
Accepte donc mon hymne, ô dieu de l'harmonie!

Mais quel mortel guidé par un plus doux génie, Avec un air si simple et de si nobles traits,

S'avance d'un front calme? Ah! je le reconnois,

:

C'est Virgile accordant sa lyre harmonieuse;"
La flûte qui soupire est moins mélodieuse.

Le génie, il est vrai, moins prodigue pour lui,
Le laisse quelquefois sur les traces d'autrui;
Pour former son nectar il imite l'abeille,

Peuple heureux, dont sa muse a chanté la merveille, Qui compose son miel de mille sucs divers;

Et quel miel, ô Virgile! est plus doux que tes vers? • Si d'un accent moins fier ta voix chanta les armes, Ah! combien ta Didon m'a fait verser de larmes! Son charme le plus doux, son art le plus flatteur, L'Imagination le puisa dans ton cœur. Homère, déployant sa force poétique, Dans sa mâle beauté m'offre l'Hercule antique; Ta muse me rappelle, en ses traits moins hardis. De la belle Vénus les charmes arrondis.

Ta vigueur sans effort, c'est la grace elle-même; * Avant de t'admirer, le lecteur sent qu'il t'aime. Des trésors du génie économe prudent,

Brillant mais naturel, et pur quoique abondant,
Chez toi toujours le goût employa la richesse:
Le goût fut ton génie, et ma fière déesse,

Dont les coursiers fougueux erroient encor sans frein,
A-mis, pour les guider, les rênes dans ta main :
Régle, sans l'arrêter, sa marche impétueuse.
Cette divinité vive et tumultueuse

Se plaît aux temps de trouble; ils animent ses jeux;
Et, comme un feu brûlant part d'un ciel
d'un ciel orageux,

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C'est du choc des partis qu'elle sort plus ardente:
Ainsi naquit Milton, ainsi parut le Dante;

Le Dante, qui mêla dans sa vie et ses verș,
Les beautés, les défauts, les succès, les revers;
Qui monte, qui descend, inégal, mais sublime,
Du noir abîme aux cieux, des cieux au noir abîme.
D'une affreuse beauté son style étincelant
Est, comme son enfer, profond, sombre et brûlant :
Soit qu'aux portes du gouffre où règne la vengeance,
Il écrive ces mots : ICI, PLUS D'ESPÉRANCE (24);
Soit que du noir cachot où rugit Ugolin,
Au milieu de ses fils qui demandent du pain,
Et dont un feu cruel dévore les entrailles,
Il ferme sans retour les fatales murailles
Où l'affreux désespoir se renferme avec eux;
Ah! de quels traits il peint ce père malheureux,
Ses soupirs étouffés, son horrible constance,
Cette douleur sans larme et ce morne silence;
Tandis que l'un sur l'autre il voit tomber ses fils!
O murs! écroulez-vous à ces affreux récits!
Non, Oreste fuyant les déesses sévères,

Ces scènes qui hâtoient l'enfantement des mères (25),
N'effrayoient point autant l'oreille ni les yeux.
Comme lui parcourant et l'enfer et les cieux,
Milton a pris son vol: zéphyrs, faites silence!
Il va chanter Éden, va chanter l'innocence,
Et le jeune univers commençant ses beaux jours,
Et le premier hymen, et les premiers amours.

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