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Tel fut ce Pélisson, dont la constante foi (29) Brava, pour un ami, le courroux d'un grand roi. Digne élève des arts, sa généreuse audace De l'illustre Fouquet embrassa la disgrace; Et, tandis que dans Vaux, aux Naïades en pleurs, La Fontaine faisoit répéter ses douleurs (3o), Pélisson dans les fers suivit cette victime: Aimer un malheureux, ce fut là tout son crime. Trop souvent du pouvoir les agents détestés Joignent à ses rigueurs leurs propres cruautés. Du triste Pélisson pour combler la misère, On avoit retranché, de son toit solitaire, Ses livres, ses travaux, et l'art consolateur Qui confie au papier les sentiments du cœur. Déja, dans les langueurs de sa mélancolie, Il sentoit par degrés s'approcher la folie. Pour tromper ces chagrins il invente un secret Frivole en apparence, et puissant en effet: Des milliers de ces dards, dont les pointes légères Fixent le lin flottant sur le sein des bergères, Jetés sur ses lambris, ramassés tour-à-tour, Trompoient dans sa prison les longs ennuis du jour ; Mais bientôt ce vain jeu ne fut qu'un soin pénible: L'être qui sent, lui seul, console un cœur sensible. Au défaut des humains, souvent les animaux De l'homme abandonné soulagèrent les maux; Et l'oiseau qui fredonne, et le chien qui caresse, Quelquefois ont suffi pour charmer sa tristesse.

L'infortune n'est pas difficile en amis :

Pélisson l'éprouva. Dans ces lieux ennemis,

Un insecte aux longs bras, de qui les doigts agiles (31)
Tapissoient ces vieux murs de leurs toiles fragiles,
Frappe ses yeux: soudain, que ne peut le malheur!
Voilà son compagnon et son consolateur!

Il l'aime : il suit de l'oeil les réseaux qu'il déploie;
Lui-même il va chercher, va lui porter sa proie.
Il l'appelle, il accourt, et jusque dans sa main
L'animal familier vient chercher son festin.
Pour prix de ces secours, il charme sa souffrance;
Il ne s'informe pas, dans sa reconnoissance,
Si de ce malheureux, caché dans sa prison,
Le soin intéressé naît de son abandon.

Trop de raisonnement mène à l'ingratitude :

Son instinct fut plus juste; et, dans leur solitude
Défiant et barreaux, et grilles, et verrous,

Nos deux reclus entre eux rendoient leur sort plus doux ;
Lorsque, de la vengeance implacable ministre,
Un geôlier au coeur dur, au visage sinistre,
Indigné du plaisir que goûte un malheureux,
Foule aux pieds son amie, et l'écrase à ses yeux :
L'insecte étoit sensible, et l'homme fut barbare!
Ah! tigre impitoyable et digne du tartare,
Digne de présider au tourment des pervers,
Va, Mégère t'attend au cachot des enfers!
Et toi, de qui Pallas punit la hardiesse,
Et qui par ton bienfait reconquit ta noblesse,

Dont peut-être l'instinct, dans ce mortel chéri,
Devinoit des beaux-arts l'illustre favori,

Arachné, si mes vers vivent dans la mémoire,
Ton nom de Pélisson partagera la gloire;
On dira ton bienfait, ses vertus, ses malheurs,
Et ton sort avec lui partagera nos pleurs.

NOTES

DU CHANT SIXIÈME.

Le bonheur et la morale, tel est le sujet de ce chant. Delille s'est bien gardé de séparer ce qui est inséparable: cependant, comme il n'y a point d'imagination dans la morale, qu'elle est fixe, immuable, le poëte s'est borné aux tableaux poétiques de son influence sur l'homme. Le bonheur, au contraire, est entièrement du domaine de l'imagination; et ce ne seroit pas un paradoxe de dire qu'il n'y a de félicités réelles que celles que donnent les illusions. C'est de cette idée purement philosophique que Delille a su faire sortir les plus ravissants tableaux de cette partie de son poëme. Il prend l'homme à son berceau, le suit dans les divers états de la vie; environne chaque âge des illusions qui lui appartiennent; peint les jeux de l'enfance, les passions de l'adolescent, s'arrête un instant près du vieillard que l'espérance n'abandonne jamais, l'accompagne au tombeau, et ne le quitte qu'après l'avoir placé dans le ciel. A ces scènes rapides le poëte fait succéder diverses scènes qui servent à développer sa pensée: il montre l'homme se livrant à l'étude des arts et des sciences, enrichissant la nature de ses travaux, se créant, chaque jour, de nouveaux plaisirs, et s'environnant des merveilles de son génie; il peint les terreurs de la mort, les craintes qui la précédent, et les fantômes dont l'imagination nous épouvante; il consacre quelques pages au tableau de la faveur populaire, et ce tableau est peut-être un des plus beaux morceaux de poésie qui soient sortis de sa plume; il montre la fortune,

il montre l'ambition, grandes illusions qui sont la source des grandes douleurs. Il oppose à ces peintures une esquisse du bonheur des champs, et n'oublie pas les plaisirs de la lecture au milieu des bois, ce qui le conduit à faire le portrait naïf et ressemblant de quelques écrivains choisis. Enfin il termine ce chant par le tableau de la misère des émigrés français loin de leur patrie, misère qui ne trouva long-temps qu'une pitié stérile, mais à laquelle la justice des temps va offrir enfin des consolations plus réelles.

(') Et comme Raphaël nous a peint les Amours,
Caressant tour-à-tour ou battant leur chimère,
Ce que font ces enfants, la raison doit le faire.

Allusion à ces jolies arabesques, où l'on voit des amours montés sur des chinières; les uns les battent, les autres les caressent et les couronnent de fleurs. On a retrouvé des images semblables dans quelques peintures antiques des Bains de Titus à Rome, dans celles d'Herculanum, et dans d'autres endroits. Plusieurs savants ont fait de profondes recherches pour expliquer le sens allégorique de ces peintures, qui ne sont peut-être qu'un caprice de l'art et un jeu de l'imagination.

(2) Sans soin du lendemain, sans regret de la veille.

Dans l'Art poétique d'Horace et dans celui de Boileau, les quatre âges de l'homme sont considérés sous le rapport dramatique, et peints avec les modifications que le même caractère éprouve aux différentes époques de la vie. Ici, le poëte n'envisage le même sujet que dans ses rapports avec l'imagination, dont il veut diriger l'influence par les conseils de la morale et de la raison. Personne ne soupçonnera Delille d'avoir voulu refaire les tableaux de deux grands maîtres, dont il étoit lui-même l'admirateur le plus éclairé; mais il entroit dans le plan de son poëme de présenter ces mêmes tableaux sous un point de vue différent,

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