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corps? Y aurait-il quelque chose de changé en métaphysique, parce que les phénomènes physiques seraient perdus pour quelques individus disgraciés de la nature? A-t-on jamais imaginé de mesurer l'intelligence humaine et l'autorité de l'évidence sur un vice accidentel d'organisation? Si quelques aveugles ne rendent pas douteuse pour nous la réalité du jour, peuvent-ils rendre plus douteuse la réalité des conséquences? Cela est si prodigieusement absurde, que Diderot même n'a pas osé l'énoncer en termes si exprès; mais ou il n'a rien voulu dire du tout, ou c'est cela qu'il a dit; et je ne sais si la déraison a jamais été plus loin.

pas

Il ne se tire pas mieux de l'autre exemple pris de la morale. Il soupçonne les aveugles d'inhumanité, parce qu'ils ne peuvent qu'entendre la plainte, et qu'ils ne voient couler le sang. Quelle puérilité! Pour peu qu'eux-mêmes aient perdu du sang par une blessure douloureuse, (et à qui cela n'arrive-t-il pas?) ignoreront-ils qu'un homme souffre quand on leur dira que son sang coule? Mais, à considérer les choses en général, et comme doit les considérer la philosophie, l'impuissance et la faiblesse, qui est l'état naturel des aveugles, est la disposition la plus prochaine à l'humanité envers ses semblables, et par conséquent la plus éloignée de l'inhumanité. L'on est d'autant plus porté à plaindre et à secourir ses

semblables, qu'on a plus besoin d'en être plaint et secouru; et qui est dans ce cas plus que l'aveugle? Il doit se défier plus qu'un autre de ceux qu'il ne connaît pas; voilà ce qui est vrai. Mais il doit être aussi plus porté à la reconnaissance envers quiconque lui a prêté secours : et qui peut, dans l'occasion, lui en refuser?

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Quelle différence y a-t-il, pour un aveugle, » entre un homme qui urine, et un homme qui » sans se plaindre, verse son sang? »

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Aucune assurément, car cet homme sera pour l'aveugle comme s'il ne perdait pas son sang, dès que vous écartez tout moyen de le savoir; et dès lors vous prouvez doctement qu'on ne plaint pas le mal qu'on ignore. Mais cela est vrai de tout le monde comme de l'aveugle, et, dans ce cas, où est l'inhumanité? Si ce n'est pas là une niaiserie, qu'est-ce que c'est? Et, n'en déplaise à ses admirateurs, Diderot y est fort sujet. Ici, par exemple, le non-sens se prolonge et se soutient merveilleusement. « Nous-mêmes ne cessons-nous >> pas de compatir lorsque la distance ou la peti>> tesse des objets produit le même effet sur nous >> que la privation de la vue sur les aveugles? >> Eh bien! voyez s'il sortira de son rêve. Il a juré de nous démontrer que ce qui nous est inconnu est pour nous comme n'existent pas. Il y aurait du malheur à rencontrer quelqu'un qui s'avisât de révoquer en doute une pareille décou

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verte, pas plus que celle qui a fait tant de fortune sur le fameux La Palisse:

Hélas! s'il n'était pas mort,

Il serait encore en vie.

Je défie qu'on nie la parité; elle est parfaite. Mais vous croyez peut-être que, n'ayant rien dit, il ne conclura rien par la grande raison que rien ne produit rien. détrompez-vous encore. Ces gens-là savent faire quelque chose de rien. Diderot s'écrie tout de suite, comme s'il eût résolu le problème d'Archimède : « Tant nos vertus dépen>>dent de notre manière de sentir, et du degré

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auquel les objets extérieurs nous affectent! » En vain, pour le réveiller, vous lui auriez crié aux oreilles: Mais songez donc que, dans l'exemple que vous citez, il ne s'agit pas de manière de sentir ni de degré d'affection. L'on ne sent rien et l'on n'est affecté de rien quand la petitesse et l'éloignement des objets font sur nous l'effet de la privation de la vue. Ce sont vos termes; et si vous aviez envie de faire une exclamation, il fallait dire du moins : « Tant il est vrai que nous ne >> pouvons xercer aucune vertu sur ce qui n'existe >> pas pour nous! » Vous aviez là une belle occasion de n'être pas contredit... Messieurs, je puis vous assurer qu'on aurait perdu sa peine. J'ai connu l'homme; je l'ai vu sur son trépied. Sans faire la moindre attention à nos paroles, et les

yeux toujours fermés comme l'esprit ', il aurait prononcé, « J'ai conclu contre la vertu; » et avec la même force de préoccupation que saint Thomas d'Aquin (s'il est permis de comparer un philosophe à un saint) s'écriait à la table de saint Louis Conclusum est contra Manichæos: La conclusion est bonne contre les Manichéens. Mais, dira-t-on, prétendez-vous nous donner Diderot pour un sot? Je ne suis pas moi-même assez sot pour le penser; mais je vous le donne hardiment pour un de ces gens d'esprit qui ont écrit fort souvent comme s'ils n'en avaient pas. Le plus grand génie peut errer, je le sais; mais, prenez-y garde, des hommes tels que Descartes, Leibnitz, Malebranche, etc., ont pu se méprendre dans des matières abstruses et conjecturales, sans trop compromettre leur esprit. Au contraire, Diderot, Helvétius, et autres sophistes, ont déraisonné sans excuse et sans mesure, et ont paru ne rien voir là où le plus simple bon sens aurait vu clair, semblables à ces fakirs de l'Inde qui ne

1 Diderot, en conversation, ne répondait guère qu'à lui-même, et parlait volontiers tout seul au milieu de dix personnes. Cette habitude était chez lui si forte et si marquée, que la seule fois qu'il ait vu Voltaire, en 1778; celui-ci, qui avait eu peine à placer vingt paroles en deux heures, nous dit, quand le philosophe fut parti : « Get » homme-là peut être bon pour le monologue, mais il ne » vaut rien pour le dialogue.

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voient pas devant eux, parce qu'ils voient la lumière céleste au bout de leur nez. Et je vous dirai bien encore quelle était la lumière céleste de nos fakirs, et pourquoi ils ont débité tant de folies. Comme la vraie philosophie, qui n'a pour objet que de rechercher les vérités utiles aux hommes, peut fournir de bonnes pensées à des esprits médiocres, de même le philosophisme, qui n'a pour mobile que la vanité de renverser les vérités établies, n'est proprement que la recherche et l'étude du faux; et en faut-il davantage pour faire dire à l'homme le plus spirituel mille absurdités et mille platitudes?

Vous n'êtes pas au bout de celles que fournit à Diderot son aveugle, sur lequel il ne sort pas d'admiration; et vous allez juger s'il y a de quoi. Il l'a observé dans toutes ses affections, et il nous révèle, avec une gravité indicible, « que l'embon» point dans les femmes, la fermeté des chairs, » les avantages de la conformation, les charmes » de la voix, ceux de la prononciation, la douceur >> de l'haleine, sont des qualités dont cet aveugle >> fait grand cas. » Mais il me semble qu'avec de bons yeux on est assez volontiers sur tous ces points comme son aveugle; et ce n'était pas un aveugle qui demandait, dans une femme, la peau, la voix et l'haleine douce. A quoi donc revient l'observation de Diderot? Je ne saurais même le soupçonner. Mais voici d'autres merveilles.

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