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finit

par

qui, impatienté de la déraison d'un pyrrhonien, tomber sur lui à grands coups de bâton, et le força d'avouer, en criant, que les coups bâton faisaient du mal.

que

de

Diderot montre pourtant quelque envie d'essayer des preuves et des exemples de cette disparité de morale et de métaphysique entre les aveugles et ceux qui voient. «Je pourrais, dit-il, >> entrer là-dessus dans un détail qui vous amu» serait sans doute, mais de certaines gens, » qui voient du crime en tout, ne manqueraient >> pas d'accuser d'irréligion. » Quel excès de scrupule! Heureusement ce n'est qu'une précaution oratoire, et il nous offre au moins un échantillon de ce détail, si amusant sans doute, et qui devait l'être en effet, mais autrement qu'il ne l'imagine, à en juger par le peu qu'il veut bien nous en communiquer. Il eût été peut-être un peu étonné, si, prenant la chose au sérieux, on lui eût dit d'abord qu'il pouvait bien y avoir réellement du crime à faire d'une puissance aussi respectable et aussi nécessaire aux hommes que la morale, une hypothèse dépendante d'un sens de plus ou de moins; mais, quoiqu'il lui eût été difficile d'en justifier seulement l'intention, soyez sûrs que c'est là une espèce de crime dont aucun de ces philosophes-là n'a jamais eu la première idée ni le plus léger scrupule. Quel est celui d'entre eux oui aurait jamais sacrifié ce qu'ils appe

laient une belle page, de belles lignes, à l'intérêt du monde entier? Mais ici ce n'est pas la peine d'être sérieux au milieu de tant de ridicules; et vous allez voir, dans les détails de Diderot, que, s'il y avait de quoi amuser sans doute sa dame, il y a aussi peut-être de quoi nous amuser avec elle.

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<< Je me contente, dit-il, d'observer que ce grand raisonnement tiré des merveilles de la >> nature est bien faible pour des aveugles. » Représentez-vous, ce qui certainement aura lieu quelque jour, Arlequin philosophe débitant cette incroyable balourdise, et les éclats de rire, les huées qui s'élèveraient de tous côtés. Je demande si ce n'est pas là, suivant l'heureuse expression des Anglais, une sottise sterling, c'est-à-dire, qui en vaut à elle seule plus de vingt; et, il faut être juste, je ne connais personne qui soit en ce genre aussi riche que nos sophistes. Faisons même grâce à Diderot du mépris qu'il affecte pour ce grand raisonnement que tout à l'heure lui-même employait si victorieusement dans ses Pensées. Vous connaissez l'homme, et vous avez dû voir, ne fût-ce que par l'article de Sénèque, que, si on lui eût interdit les contradictions, il est douteux qu'il eût pu écrire quatre pages de suite. Prenonsle donc tel qu'il est, contenti sumus hoc Catone, et voyons comment le monde n'est plus une preuve de l'existence de Dieu, parce qu'il y a des

aveugles. Encore s'il n'eût parlé que des aveuglesnés, qui n'ont jamais pu voir le monde! Mais ceux-là sont en fort petit nombre, et ce n'est pas assez pour l'auteur. Dans tous les cas, seraitil donc si difficile de persuader à un aveugle-né l'existence du soleil, lorsqu'il y a une différence sensible entre le jour et la nuit, même pour les aveugles-nés? Ne peut-on pas leur faire comprendre tous les bienfaits de la lumière, seulement en opposant nos jouissances à leurs privations, à moins qu'ils ne nous prennent tous pour des imposteurs ou des fous? Cela serait extrêmement philosophique; mais si nos philosophes sont souvent des aveugles, les aveugles ne sont pas d'ordinaire si philosophes. Leur premier vœu est de recouvrer la vue, leur plus grand regret est d'en être privés. Il est donc démontré qu'ils ont l'idée de ses avantages. Eh bien! c'est précisément parce que cette vérité est démontrée par le fait qu'elle n'entre pas dans les raisonnemens de Diderot. Tous ces sophistes ont une tournure d'esprit particulière, et qui suffirait pour rendre compte de toutes leurs extravagances. L'aperçu le plus frivole, le plus vague, le plus gratuitement hypothétique, les frappe comme les autres hommes sont frappés de la vérité; et je dirai bien pourquoi c'est que la vérité est à tout le monde, mais leurs aperçus sont à eux; et plus ils sont obscurs, insignifians, contraires à toutes les notions de la raison

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générale, plus ils se savent gré de les avoir et de pouvoir en tirer parti. Diderot surtout est toujours comme en extase devant ses pensées; il se confond et se perd dans l'admiration de leur étendue. Il avait coutume de fermer les yeux en parlant, comme pour se recueillir en lui et devant lui, pour appeler l'inspiration et contempler plus à son aise toute la beauté de ses conceptions. En le voyant, on était tenté de dire dans son style : Profanes, ne le troublez pas; il est sous le » charme. Il jouit de ses idées comme Dieu jouit >> de lui-même : ne lui demandez pas de les rendre >> claires pour vous. Est-il sûr qu'elles le soient » pour lui? et en a-t-il besoin? C'est un prophète. >> Peut-être ses idées ne seront-elles des vérités que » dans des milliers d'années; et la pensée du phi»losophe n'habite-t-elle pas dans l'infini? Qu'est» ce que le réel? Le réel est petit: c'est le possible qui est grand; et le domaine du philosophe, » c'est le possible. Devant lui, qu'est-ce qu'une génération tout entière en comparaison d'une » expérience? »

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Ne croyez pas qu'en me diverti sant un moment à contrefaire leur emphatique jargon, j'aie chargé la ressemblance. Je vous jure qu'il ne tiendrait qu'à moi de leur donner pour sérieux ce qui n'est qu'une plaisanterie, et qu'il suffit que cela ressemble à l'admiration, pour qu'ils prennent à la lettre tout ce que vous venez d'en

tendre. Je n'y ai mis que la forme: le fond est partout dans leurs écrits; et pendant cinquante ans ils l'ont pris et donné pour du sublime, et, qui pis est, l'ont fait passer pour tel à la faveur de leur renommée, moitié réelle et moitié factice, de quelque talent plus ou moins médiocre pour écrire, et d'un talent plus ou moins grand pour intriguer. Vous avez dû voir notamment que ce que j'ai dit d'une génération et d'une expérience est le résultat formel et positif de toute la philosophie révolutionnaire, le grand mot de la révolution, mille fois répété de mille manières depuis Diderot jusqu'à Robespierre. Ah! il doit être permis à la génération sur qui cette philosophie porté son scalpel, de ne pas trouver l'expérience bonne; et s'il a coupé les doigts de tous ceux qui l'ont si cruellement manié, en vérité cela était trop juste, et il ne faut pas moins que toute la charité chrétienne pour plaindre encore des ana.tomistes barbares que l'humanité doit détester.

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Mais, pour revenir de ces coupables aveugles qui nous ont fait tant de mal avec leur prétendue lumière, à ces aveugles innocens qui ne voient pas celle du soleil : quand même ils auraient de moins que nous cet argument en faveur de l'existence de Dieu, qu'est-ce que Diderot en pouvait inférer? N'y a-t-il donc pas d'autres preuves, même pour des aveugles, pour peu qu'ils ne soient pas privés des yeux de l'esprit comme de ceux du

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