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y avait à prouver, qu'un véritable miracle n'est autre chose qu'un syllogisme, dont la majeure sous-entendue est démontrée en principe, la mineure démontrée en action, et la conséquence, dans la raison de tous les hommes. Mais admirons, en passant, cette grande prédilection pour les syllogismes, affectée devant ceux qui n'y entendent rien, et cette grande attention à compter les syllogismes pour rien, avec ceux qui savent en faire.

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Quoi donc ! te serait-il plus facile redresser » un boiteux que de m'éclairer? »

:

C'est selon en rigueur, je ne crois pas que les miracles admettent le plus ou le moins de difficulté, puisque tout est également possible à celui qui fait seul les miracles; mais en me prêtant à la question de Diderot, je la trouve douteuse. C'est sans doute un prodige de redresser la jambe d'un boiteux; mais ce pourrait bien en être un autre de redresser l'esprit d'un athée, et je ne pas répondre que le dernier ne fût pas

voudrais

le plus difficile.

«< L'exemple, les prodiges et l'autorité peuvent >> faire des dupes; la raison seule fait des croyans. >>

Il faut donc qu'il y ait dans le monde deux raisons opposées l'une à l'autre, ou bien tous les hommes les plus éclairés depuis dix-sept siècles, à compter de Tertullien et de saint Augustin jusqu'à Fénélon et Massillon, ont été dénués de raison,

à

et la raison ne date que d'un siècle, comme un bel esprit vient de nous le dire très-positivement. Cette raison qui date d'un siècle est l'incrédulité; celle qui en compte dix-sept est la foi. Laquelle croire? Je m'en tiendrai, la révélation même mise part, à ces paroles de l'Évangile: Vous les connaîtrez par leurs fruits, à fructibus eorum cognoscetis eos. Et comme le fruit de la raison de nos philosophes n'a été autre chose que la révolution française, je suis en droit de conclure avec l'Europe et le monde entier, dont l'opinion n'est pas équivoque, que l'arbre qui a porté un tel fruit était empoisonné. Si mes adversaires ne trouvent pas bon que je m'appuie d'un texte de l'Évangile, je les prierai de ne s'en pas fàcher, puisque ce texte rentre absolument dans la pensée d'un philosophe des plus fameux de ce siècle, et à qui euxmêmes ne contestent pas ce titre, J.-J. Rousseau. C'est lui qui leur a dit ( et ce n'est pas ce qu'il a dit de moins bon): « Vous répétez sans cesse que » la vérité ne peut jamais faire de mal aux hom>> mes; je le crois, et c'est pour moi la preuve que la vérité. » Si son ar» ce que vous dites n'est pas gument était bon dès ce temps-là, que sera-ce aujourd'hui ? La Providence a pris soin de rendre la réplique impossible.

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<< Je ne suis pas chrétien parce que saint Augus» tin l'était; mais je le suis parce qu'il est raison»nable de l'être. »

1

Messieurs, vous vous récriez: Quoi! Diderot se dit chrétien ! Attendez, nous allons tout à l'heure avoir sa profession de foi en forme; vous saurez peut-être à quoi vous en tenir. En attendant, souvenez-vous que Voltaire a fait en sa vie une cinquantaine de professions de foi, sans compter ou en comptant celle qu'il fit imprimer à Paris dans tous les papiers publics quelques mois avant sa mort. Nos philosophes disent que ce sont des façons de parler, modus loquendi, des lazzi philosophiques extrêmement plaisans; et en effet quelques-uns de ceux de Voltaire en ce genre l'étaient beaucoup, et j'aurai occasion de vous les rappeler. Cependant il faut avouer que la phrase de Diderot n'a point du tout le ton d'un lazzi; au contraire, elle a celui de la vérité. Diderot parle absolument comme saint Paul: « Ne croyez ni à Apollon ni à Céphas, mais à Dieu : Sit rationabile obsequium vestrum, que votre soumission soit raisonnable. » Vous voyez qu'il n'y a rien à redire aux paroles de Diderot, et qu'il est ici trèsorthodoxe. Il ajoute :

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« Je suis né dans l'Église catholique, apostolique et romaine, et je me soumets à ses déci»sions de toute ma force. » Il ne s'agit plus que de savoir jusqu'où elle va. « Je veux mourir dans » la religion de mes pères, et je la crois bonne. » Pardonnez-lui ce mot, la religion de mes pères ; ce n'était pas encore un crime capital. « Je la crois

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bonne, autant qu'il est possible à quelqu'un qui » n'a jamais eu aucun commerce immédiat avec » la Divinité, et qui n'a jamais été témoin d'au» cun miracle. » Comme nous ne savons pas jusqu'où allait pour lui ce possible, non plus que sa force pour croire, il se pourrait bien qu'il y eût ici du lazzi de nos sages, et vous en penserez ce que vous voudrez. Mais il ne s'en tient pas là; il nous assure qu'il a mis dans la balance les raisons des athées, des déistes, des Juifs, des musulmans, de tous les sectaires, et enfin des chrétiens. C'est ne rien oublier, et surtout les raisons des athées ont dû faire un grand poids. Vous attendez le résultat; le voici : « Après de longues oscillations » ( il y avait de quoi), la balance pencha du côté >> du chrétien, mais avec le seul excès de sa pesan» teur sur la résistance du côté opposé. » C'est toujours quelque chose; et je crois, messieurs, que vous n'en espériez pas tant. « Je me suis témoin à » moi-même de mon équité. Il n'a pas tenu à >> moi que cet excès ne m'ait paru fort grand: » j'atteste Dieu de ma sincérité. »

Diderot seul pourrait nous dire ce qu'un tel serment valait alors pour lui. Quoi qu'il en soit, ni la balance, ni le serment, ni la profession catholique, apostolique et romaine, ni la religion de nos pères, ne parurent au gouvernement des œuvres aussi édifiantes que nos philosophes les trouvaient gaies; et l'auteur, ayant donné, peu de

temps après, une brochure du même genre, fut renfermé assez long-temps à Vincennes, où il fut d'ailleurs traité avec tous les ménagemens possicomme on sait, et n'en devint pas plus

bles 1

,

sage.

SECTION III.

Lettre sur les Aveugles, à l'usage des Clairvoyans.

Cette Lettre, qui attira enfin sur lui l'animadversion du ministère, plus d'une fois provoqué, est un de ces écrits insidieux où le matérialisme, n'osant pas se produire en dogme, s'enveloppe dans des hypothèses sophistiques, de façon à ce qu'on puisse le deviner et le conclure. Elle fut composée à l'occasion d'un aveugle-né, du Puiseaux en Gâtinais, qui faisait alors quelque bruit par les avantages singuliers qu'il devait à l'exercice réfléchi de toutes ses facultés, qui lui avait appris à compenser, jusqu'à un certain point, celle qui lui manquait. Ce n'est pas en soi-même un phénomène très-rare que ce perfectionnement des sens fortifiés et enrichis de la privation même de celui qu'on a perdu, et des leçons de la nécessité. On sait jusqu'où les aveugles poussent la finesse de l'ouïe, du tact, de l'odorat, en propor

1 Il avait la permission, très-rarement accordée dans les prisons d'état, de recevoir ses amis ; et Rousseau parle des visites très-fréquentes qu'il lui rendait.

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