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lassitude et le dégoût de dire sans cesse, vous avez menti; que peut-on en conclure, si ce n'est que philosophie moderne a jeté sur un grand homme, qui a eu le malheur de s'y attacher, cette inévi– table malédiction qui devait la suivre partout? et c'est ce que vous déplorerez avec moi, quand ce même Voltaire, que vous avez si souvent admiré avec moi, paraîtra devant vous à son rang, comme philosophe.

Vous avez déjà vu combien il était sujet à se contredire, même en critique, tant il était dominé par une imagination rebelle à toute espèce de frein. Ce doit être pis en philosophie; et ici, par exemple, ce même écrivain, qui défend contre Pascal l'insouciance du scepticisme, ailleurs la trouve stupide, et même impossible, sans doute parce qu'il était alors dans un de ces instans de bonne foi qui obligent de parler comme on a senti. Le trait est frappant, et je n'aurai qu'à le transcrire et à l'abandonner à vos réflexions. Dans des entretiens1 où, sous le nom d'un philosophe chinois, disciple de Confutzée ( celui que nous appelons Confucius), il disserte avec un prince de la Chine sur la métaphysique et la morale, et l'instruit sur l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, il lui dit : « Si vous abusez de votre raison, >> non-seulemeut vous serez malheureux dans cette

Entretiens de Cu-Su avec le prince Kou.

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» vie, mais qui vous a >> dans une autre ?

dit

que vous ne le seriez

pas

LE PRINCE.

>> Et qui vous a dit qu'il y a une autre vie?

LE PHILOSOPHE.

» Dans le doute seul, vous devez vous conduire » comme s'il y en avait une.

LE PRINCE.

>> Mais si je suis sûr qu'il n'y en a point?

LE PHILOSOPHE.

» Je vous en défie. »

Et il tranche le dialogue à ce mot, qu'on peut bien appeler celui de la conscience. Il est également sûr que ce mot sortait de celle de l'auteur, et accusait celle des sceptiques et des athées. Ce mot, je vous en défie, donnait pleinement raison à tous les moralistes et prédicateurs chrétiens qui ont tant de fois argué de faux la prétendue sécurité des impies sur l'avenir; et pourtant celui à qui cet aveu échappe, sans qu'il y pense, a traité cent fois de déclamations tout ce qu'ont dit sur cet article ceux que lui-même a justifiés ici d'une seule parole.

Ces contradictions si fréquentes ne m'étonnent nullement, et me paraissent même dans l'ordre. Mais ce que vous trouverez plus extraordinaire, c'est le passage suivant, qui, dans Dide

rot, doit le paraître encore bien plus à nos adversaires qu'à nous. «Lorsqu'on annonce au peuple >> un dogme qui contredit la religion dominante, » ou quelque fait contraire à la tranquillité pu» blique, justifiât-on sa mission par des miracles, » le gouvernement a droit de sévir, et le peuple » de crier, Crucifige! Quel danger n'y aurait-il » pas à abandonner les esprits aux séductions » d'un imposteur ou aux rêveries d'un vision

>> naire!»

Je n'examine pas encore comment l'auteur a trouvé le moyen d'appliquer à faux un principe généralement vrai, et cela en y comprenant le seul cas qui doit y faire exception. Mais, avant tout, comprenez-vous que ce soit Diderot qui ait pu renverser alors en deux phrases ce code de tolérance universelle, le seul sacré pour nos phisophes, tant qu'ils en ont eu besoin, et qu'ils ont foulé aux pieds comme tout autre, dès qu'ils ont été les plus forts? Comprenez-vous que ce soit Diderot qui, en les condamnant, se condamne lui-même, et porte contre eux et contre lui un arrêt si formel, si rigoureux, si motivé? Certes, il ne pouvait pas se cacher que, dans ce même livre, à la même page, il attaquait la religion dominante, et par des dogmes qui contredisaient nonseulement cette religion, mais même la religion et la police de tous les gouvernemens du monde, car où souffrirait-on qu'un citoyen criât: Détrui4'

XVIII.

sez les temples? Il n'y a point de pays où ce ne fût un délit capital; et ce cri, vous venez de l'entendre dans sa bouche. Il ne contredisait pas moins formellement la religion de son pays en rejetant l'autorité des miracles, dogme qui tient même beaucoup de place dans ses Pensées, et dont il va encore être question. Et c'est lui qui crie contre lui avec le peuple: Crucifige! C'est lui qui reconnaît dans le gouvernement le droit de sévir! J'avoue qu'il m'est impossible de deviner ici son intention, ni de rien apercevoir qui puisse mettre d'accord ce qu'il écrit et ce qu'il fait, ce qu'il veut et ce qu'il doit vouloir. Je suis convaincu que personne, pas même nos philosophes, qui expliquent tout, ne pourrait expliquer une si étrange inconséquence. Dira-t-on que ce qui l'a emporté ici sur tout le reste, c'est la résolution de condamner Jésus-Christ, ses miracles et ses disciples, et de donner raison à leurs persécuteurs et à leurs bourreaux? C'est la seule idée qui se présente d'abord, et d'autant plus, que c'est ce qu'a fait depuis Voltaire, et toute la secte, en cent endroits. Mais Diderot vient tout de suite au-devant de cette inteprétation, en ajoutant : « Si le sang >> de Jésus-Christ a crié vengeance contre les » Juifs, c'est qu'en le répandant ils fermaient l'o>> reille à la voix de Moïse et des prophètes, qui » le déclaraient le Messie. » Rien n'est plus vrai, et c'est parler comme l'Évangile. Mais si ces pa

roles décisives repoussent le soupçon d'avoir voulu tourner contre Jésus-Christ la sentence qu'il vient de porter, il en résulte une nouvelle inconséquence plus forté que toutes les autres; car l'auteur admet et consacre, par cet aveu, la seule exception opposée à son principe, et dont il ne voulait pas et c'est à présent que je vais faire voir comment son principe, étendu jusque-là, est devenu faux, et comment lui-même, sans y prendre garde, en avoue la fausseté. En effet, si les Juifs ont été coupables de ne pas reconnaître dans Jésus-Christ le Messie annoncé par leurs prophètes, assurément ce ne peut être que parce qu'il manifestait dans ses œuvres tous les caractères que cés prophètes attribuent au Messie; et ces œuvres, ces caractères, ne sont autre chose que des miracles; c'est même ce que Jésus-Christ reproche à tout moment aux Juifs en termes exprès. Cependant Diderot va tout à l'heure rejeter, comme absolument nulles, les preuves tirées des miracles. Comment concilier des assertions si contradictoires? D'un côté, le crime des Juifs est d'avoir méconnu le Messie malgré ses miracles, prédits par les prophètes comme devant leur montrer le Messie; et de l'autre, les miracles ne prouvent rien. Ils prouvent si peu, que, malgré tous les miracles possibles, il faut pendre celui qui, en les faisant, contredit la religion dominante. Comme ce n'est pas ici un cours de théologie, vous me dis

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