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tout le monde chrétien. C'est en France seulement, c'est aujourd'hui qu'il n'est plus permis d'adorer Dieu à la face du soleil; c'est seulement parmi nous, ce n'est que de nos jours que l'on peut dire avec vérité que Dieu est relégué, emprisonné dans les temples, autant du moins qu'on l'a pu. Mais à qui faut-il s'en prendre, sinon à toi et à tes pareils? Ne sont-ce pas tes propres paroles, élargissez Dieu, que répétaient ceux qui fermaient toutes les églises de la France, après les avoir dépouillées, et quand ils les abattaient, n'est-ce pas tes ordres exprès, détruisez ces enceintes, que leurs mains sacrilégement dociles ont si bien exécutés? Tes phrases n'étaient-elles pas le cri qu'on avait appris à l'ignorance pour autoriser la rapine et la rage, cri qui est encore en ce moment répété par tous les échos journaliers de la philosophie? Ah! lorsque Dieu et ses adorateurs sont légalement confinés dans les temples, ce mot, qui dans ta bouche n'était qu'un extravagant blasphème, ce mot, pris dans un autre sens, trop réel et trop juste, ce mot nous appartient aujourd'hui, et c'est bien nous qui avons le droit de dire, au nom de la raison, de la liberté, de la religion : Élargissez Dieu1.

Diderot, en faisant l'éloge du scepticisme, se

1 L'auteur a eu, avant de mourir, la consolation de voir la religion rétablie dans tout son lustre.

moque de ceux qui veulent savoir qui l'on est, d'où l'on vient, où l'on va, pourquoi l'on est venu. Il est vrai que tout cela est si peu de chose, que ce n'est pas même la peine d'y penser. Aussi nous dit-il, avec une fierté digne du plus noble quadrupède « Le sceptique se pique d'ignorer >> tout cela, sans en être plus malheureux. » C'est en effet se piquer d'une belle chose! Mais le sceptique ne ment-il pas un peu? N'est-il pas au moins prouvé, par le fait, qu'il s'est donné beaucoup de peine pour parvenir à ignorer ce que le sens intime, indépendamment de la révélation, avait appris à tous les peuples, puisque tous ont cru un Dieu rémunérateur et vengeur, une âme immortelle et un monde à venir! Il est donc de fait (et ce qu'il y a de bon, c'est que nos philosophes eux-mêmes ne peuvent pas toujours nier les faits) que l'on avait, de temps immémorial, trouvé la réponse à ces questions, que Diderot et son sceptique regardent comme si indifférentes; et que la conscience a enseigné à tous les hommes ce que la philosophie se pique seule d'ignorer. Ne serait-ce pas déjà une présomption morale assez plausible, que la réponse du sens intime de tous les hommes vaut un peu mieux que l'ignorance de nos sages, qui n'affectent que celle-là, et qui d'ailleurs savent tout, excepté ce que savent tous les hommes? Je sais que ces sages vont répondre par un seul mot, qui répond à tout:

préjugés! Je pourrais répliquer par un vers fort beau, et qui, pour eux, n'est pas d'un homme à préjugés, puisqu'il est de Voltaire :

La voix de l'univers est-elle un préjugé ?

(Irène.)

Et il s'agit précisément d'un point de morale.... Mais à quoi pensé-je? J'oublie que ce même Voltaire, que les chrétiens appellent un impie, Diderot l'appelait un cagot, et Helvétius un cause-finalier. Vous m'avouerez qu'avec ces sortes de gens on ne peut jamais savoir sur quoi compter. Au reste, Voltaire riait beaucoup de se trouver, sur la fin de ses jours, un cagot, et il disait, le plus doucement qu'il pouvait, à son ami Helvétius, que cause-finalier n'était pas une réponse ; et je crois qu'au fond cela est assez vrai. Nos adversaires disent aussi que des vers ne prouvent rien. Oui, comme vers: mais rien n'empêche qu'ils ne prouvent comme pensée; et celle-là est d'un grand sens; elle rentre dans un axiome de l'ancienne philosophie, que j'aime à redire, d'autant plus qu'il sonne mal aux oreilles de la nouvelle, « Con» sensus omnium lex naturæ putanda est. Le >> sentiment unanime de tous les hommes doit » être regardé comme une loi de la nature. » CIC. De plus, si les poëtes ne sont pas tenus de prouver, des philosophes y sont obligés; et s'il peut être beau, quoique peu modeste, de contredire la

voix de l'univers, il n'est pas heureux de n'avoir pu encore y opposer que des objections sans conséquence, et des théories sans aucun fondement. Il n'est pas très-péremptoire de dire: « Ce que >> tout le monde croit est un préjugé dès que nous »> ne le croyons pas; et personne ne doit affirmer » quand nous doutons, ni douter quand nous affir>> mons. » C'est là tout le fond des démonstrations de nos maîtres. J'y vois bien une assez grande supériorité d'orgueil, mais aucune supériorité de raison; et jusqu'à ce qu'ils veuillent bien descendre à raisonner avec nous, ou qu'ils prouvent du moins que la philosophie déroge quand elle raisonne, je me croirai en droit de dire que la leur est si digieusement ridicule, qu'il ne faut pas moins que tout le mal qu'elle a fait pour qu'il soit permis d'en parler sérieusement; mais qu'en même temps le mal est si grand dans les effets, qu'il faut toute l'ineptie de la doctrine pour que l'on nous pardonne de n'en pas parler toujours avec le ton de l'horreur et de l'indignation.

pro

Diderot, à l'appui de son scepticisme, cite Voltaire, qui se moque de Pascal, parce que celuici regarde comme un état insupportable celui d'hommes qui seraient condamnés à ignorer leur nature et leur destination. Que Voltaire se moque tant qu'il voudra, la proposition de Pascal n'en est pas moins juste et conséquente. Quoi de plus naturel à l'être raisonnable que le besoin de con

naître ce qui lui importe le plus, et le regret de l'ignorer? « J'aimerais autant, dit Voltaire, m'af

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fliger de n'avoir pas quatre pieds, quatre yeux » et deux ailes. » Je serais tenté de croire que ce n'est pas sans quelque malice que Diderot a cité ce passage, et qu'il voulait faire rire aux dépens de ce cagot de Voltaire. On peut douter qu'on ait jamais imaginé une parité de cette espèce. Il est rigoureusement conforme à la raison de l'homme de s'interroger sur sa nature et sa destination, et de chercher au moins ce que là-dessus sa raison peut lui enseigner; et celui-là au contraire l'aurait absolument perdue, qui s'affligerait de n'avoir pas d'ailes, etc. Le rapprochement de deux choses si opposées n'est pas plus raisonnable. La différence qu'il y a, c'est que le désespoir de n'avoir pas d'ailes suppose l'aliénation absolue; au lieu que donner deux choses contraires pour deux choses identiques ne prouve que cette absence momentanée de tout bon sens, qui fait dire une sottise, une folie, sans être ni un fou ni un sot. Mais quand ces sottises et ces folies se multiplient au point de remplir des volumes, et de faire une partie considérable des ouvrages d'un homme qui d'ailleurs a montré, dans d'autres genres, nonseulement un esprit rare, mais un talent du premier ordre; quand il y a joint une multitude de mensonges d'une telle audace, qu'il n'y a d'autre difficulté à les réfuter, preuve en main, que la

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