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» pense. Or, que cela soit ainsi, c'est à vos lu»mières, c'est à votre conscience que j'en appelle. >> Avez-vous jamais remarqué dans les raisonne» mens, les actions et la conduite de quelque >> homme que ce soit, plus d'intelligence, d'or» dre, de sagacité, de conséquence, que dans le » mécanisme d'un insecte? La Divinité n'est-elle >> pas aussi clairement empreinte dans l'œil d'un >> ciron que la faculté de penser dans les écrits du grand Newton? Quoi! le monde formé prou>> verait moins une intelligence que le monde expliqué? Quelle assertion! L'intelligence d'un » premier Ètre ne m'est-elle pas mieux démon» trée par ses ouvrages que la faculté de penser » dans un philosophe par ses écrits? Songez donc » que je ne vous objecte que l'aile d'un papillon, » quand je pourrais vous écraser du poids de l'u

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>>nivers. >>

Voilà sans contredit une des pages les plus éloquentes que Diderot ait écrites. Le raisonnement rentre dans celui de Descartes, qui consiste à prouver l'intelligence suprême par celle de l'homme. « Je pense: donc je suis. Si je pense, j'ai en moi l'intelligence, et je ne me la suis pas donnée. » Il y a donc une intelligence créatrice, et par >> conséquent infinie : il y a donc un Dieu. >> Mais Diderot a répandu la chaleur oratoire dans l'argumentation sèche du philosophe. S'il avait toujours fait un pareil usage du talent d'écrire, com

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bien ce talent se serait élevé plus haut qu'il n'a fait ! et que d'écueils il aurait évités ! il ajoute : « Je distingue les athées en trois classes. Il y en a qui vous disent nettement qu'il n'y a point de Dieu, et qui le pensent; ce sont les vrais athées : >> un grand nombre qui ne savent qu'en penser, » et qui décideraient volontiers la question à croix » ou pile 1; ce sont les athées sceptiques : beau>> coup plus qui voudraient qu'il n'y en eút point, qui font semblant d'en être persuadés, et qui vivent comme s'ils l'étaient; ce sont les fanfa» rons du parti. Je déteste les fanfarons; ils sont » faux. Je plains les vrais athées : toute consolation » me semble morte pour eux. Et je prie Dieu » pour les sceptiques; ils manquent de lumières. >>

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Il faut que Diderot ait bien mal prié, et que ses prières n'aient pas plus réussi pour lui que pour autrui, puisqu'il a depuis nié si hautement le Dieu qu'il priait ici. Pour peu qu'il eût réfléchi, ce qu'il dit de ces fanfarons qui voudraient qu'il n'y eût pas de Dieu aurait dû suffire pour

1 Comme J.-J. Rousseau décida la question d'une Providence en jetant une pierre contre un arbre. (Voyez ses Confessions.) Peut-on croire qu'un homme ait l'usage de sa raison quand il résout à croix ou pile un doute qui a de semblables conséquences? Et puis, qu'on se demande de bonne foi s'il n'est pas vrai qu'il y a une espèce de philosophie qui est réellement une espèce de démence!... O Pro

vidence!

XVIII.

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l'éloigner de l'athéisme. Ce ne sont sûrement pas des hommes de bien ceux qui vivent comme s'ils étaient persuadés qu'il n'y a pas de Dieu, car cela ne peut absolument s'entendre que des méchans. Or, qu'est-ce qu'une opinion qui est le vœu et l'intérêt des méchans? Il m'est impossible de deviner comment Diderot, devenu athée, aurait répondu à ses propres pensées. Il l'était pourtant devenu au point d'entrer en fureur au seul nom de Dieu, et de regarder l'idée d'un Dieu comme le premier des fléaux de la terre. Il cherchait comment cette idée était entrée dans le monde, et quel était le premier qui avait pu s'en aviser. Il ne disait pas comme Lucrèce: Primus in orbe deos fecit timor: «La crainte a fait les dieux '. » Son imagination lui fournissait une autre hypothèse bien digne d'une tête comme la sienne. Il supposait un misanthrope furieux, un Timon, un homme qui avait nourri trente ans dans une caverne le ressentiment de tout le mal que lui avaient fait les hommes, et cherché pendant tout ce temps comment il exercerait contre eux une vengeance terrible et durable qui pût assouvir toute sa haine. Un jour enfin cet homme était sorti de sa caverne tout rempli d'une idée qui répondait à ses fureurs; il en était sorti en criant

1 Ce demi-vers est de Pétrone, et non pas de Lucrèce : on le trouve aussi dans Stace, Thébaïde, III, 661; il le met dans la bouche de Capanée.

d'une voix épouvantable, Dieu! Et avait ainsi courú le monde en jetant partout le même cri Dieu! Et ce mot, répété et commenté, avait répandu toutes les calamités sur la terre. Telle était la fable philosophique que Diderot substituait à celle de Pandore, et qui est bien d'un autre goût, et ne fera pas la même fortune. Je ne crois pas qu'il l'ait fait entrer dans aucun de ses ouvrages; mais je suis sûr que c'était là une de ses conversations dont on nous a dit tout à l'heure qu'elles prouvaient autant de génie que des ouvrages. Des hommes qui ont entendu celle-là existent encore : ils sont croyables; ils sont prêts à attester ce que je rapporte, et ce ne seraient sûrement pas eux qui auraient inventé ce qui peut-être n'a pu jamais éclore que du cerveau de Diderot.

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Il fallait qu'il fût encore loin de là lorsqu'il fit son livre des Pensées : il y soutient l'existence de Dieu comme prouvée en métaphysique et en bonne morale, et reconnaît l'utilité de cette croyance. Voici ses termes : « Sans la crainte du législateur, sans la pente du tempérament, et >> sans la connaissance des avantages actuels de » la vertu, la probité de l'athée manquerait de » fondement. » Or, comme les lois, tout en punissant les fripons, n'ont jamais fait un honnête homme; comme la pente du tempérament est trop incertaine et trop variable pour servir de base à la probité; enfin, comme les avantages

actuels du vice sont fort souvent supérieurs à ceux de la vertu, il suit évidemment des paroles de Diderot (quelle que fût sa pensée), que la probité de l'athée manque de fondement. Quoique sa phrase ne soit pas expressément affirmative par la tournure, elle l'est bien par ses conséquences implicites. Peut-être ménageait-il un peu les athées par un secret pressentiment qu'un jour il se rallierait à eux; peut-être aussi demanderezvous comment il a pu entrer dans leurs rangs, et se mettre à leur tête, après les assertions et les aveux qu'on voit ici. Lui seul pourrait vous le dire; ce qui ne signifie pas même que vous dussiez le comprendre. Mais enfin, direz-vous encore, comment s'est-il répondu à lui-même? - Jamais il ne s'est répondu. Il a beaucoup argumenté en sens contraire, et voilà tout. Est-ce que ces philosophes-là répondent? Pas plus à eux-mêmes qu'aux autres. Ils répliquent quelquefois, n'importe comment; mais répondre! ils ne s'y exposent pas. Ils enseignent toujours, et ne se trompent jamais voilà leur vocation. Ils enseignent le et le contre dans tous les sens; et pourtant ne varient jamais : voilà leur privilége. Vous croyez que je plaisante; point du tout. Rien n'est plus sérieux et plus facile à expliquer. Qu'importe qu'un homme soit tour à tour déiste, athée, sceptique, spinosiste, tout ce que vous voudrez? Il ne change point; il est toujours philosophe...

pour

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