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» ce sont uniquement les vices. Tous les rangs » sont des usurpations. Il y a tout à parier que » les ancêtres d'un gentilhomme étaient des fri»pons, etc., etc. »

Ce n'est pas qu'une arrière-pensée ne se fit encore entendre chez lui, et ne lui dit : « La rai>> son de tous les siècles et la voix de tous les >> hommes sages vont s'élever contre toi. » L'amourpropre répondait : «< Qu'importe? Il s'agit d'être » lu et de faire effet: tout est dit en fait de vérité; >> on ne peut plus être neuf qu'en déraison. Et >> d'ailleurs, combien je mets d'intérêts dans mon » parti! C'est la classe inférieure qui est la plus >> nombreuse; elle sera tout entière pour moi con»tre l'inégalité. Tous ceux qui ne se trouvent » pas bien dans la société diront à coup sûr » comme moi que tout y est mal. J'ai pour moi

l'orgueil du plus grand nombre contre l'orgueil » du plus petit; il n'y a pas à balancer, le succès » est sûr. J'attaque tout ce qu'on envie, 'et je >> flatte tout ce qui est mécontent; c'est le moyen » de faire secte. Et puis, quel beau champ pour » les belles phrases que la satire continuelle du gand monde et le panégyrique de la multitude! Qu'y a-t-il de plus moral, de plus philosophique? Si l'on réfute mes paradoxes, je ne répondrai jamais qu'en annonçant le plus pro» fond mépris pour tous ceux qui n'opposent que » des préjugés à la vérité, qui est ma devise; et

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» combien de fous prendront à la lettre cette de>> vise imposante Sacrifier sa vie à la vérité, » Vitam impendere vero! J'écris pour un peuple » qui ne fait cas de rien que de l'esprit : et où >> peut-on en mettre plus que dans des paradoxes? » J'écris pour un peuple ennuyé : et qui le réveil>> lera mieux que des singularités hardies? J'écris » pour un peuple amateur des nouveautés : et qu'y » a-t-il de plus nouveau que de prétendre tout » renouveler? »

Et voilà en effet les causes de l'engouement qu'a excité Rousseau. Ce prétendu martyr de la vérité ne fut jamais au fond qu'un très-adroit charlatan qui connaissait son auditoire. J'avais déjà observé qu'il avait surtout pour lui les femmes et les jeunes gens et pourquoi? c'est qu'il avait eu l'art pernicieux de donner à leurs passions favorites le ton et l'air des vertus. Quelle jeune personne, en ne consultant que son cœur, et non pas son devoir, ne s'est pas crue une Julie, et n'a pas été flattée de le croire? Quel étourdi, en cherchant à séduire l'innocence, ne s'est pas cru un Saint-Preux ? Voilà ce que lui ont valu ses

romans.

Il avait bien compris qu'on lui reprocherait l'inconséquence d'une production de ce genre, si peu compatible avec la morale austère qu'il professait dans d'autres ouvrages; mais rien n'embarrasse un homme qui se tire de tout avec une

phrase tranchante. Il faut des romans à un peuple corrompu; et tout est dit pour les sots. Combien de sottises dans cette phrase! C'est comme si l'on disait: Il faut des poisons à un malade. Vil charlatan! si ce peuple est assez corrompu pour rechercher les ouvrages où le talent n'a servi qu'à orner le vice, est-ce à toi de lui en fournir, toi qui fais profession de prêcher la vertu? Tu conviens que les romans sont un aliment de la corruption; et c'est toi, moraliste, qui prépares He plus dangereux de tous! Du moins, dans les romans les plus répandus, les passions ne sont montrées que comme des faiblesses; et toi, tu emploies tout l'art possible à leur donner le langage de toutes les vertus, de l'élévation d'âme, du désintéressement, de la pudeur, du courage, etc. Ton héroïne fait des sermons en donnant un rendez-vous à son amant dans la maison de son père! Ton héros a l'insolence scandaleuse de donner écrit à une jeune fille qu'il a lâchement séduite, sous le nom de précepteur, la permission de disposer d'elle-même; et il n'y a pas même, dans ton ouvrage, un seul mot d'improbation contre cet excès d'impudence, présenté comme un acte de générosité. Qu'y a-t-il de plus sacré partout que l'autorité paternelle? et c'est toi qui l'avilis à ce point, toi qui te donnes pour l'apôtre de la vérité et des mœurs! Ne sens-tu pas les terribles conséquences d'un scandale si contagieux? Veux

par

tu persuader à toutes les jeunes personnes que l'autorité paternelle, qui n'est autre chose que l'expérience protégeant la fragilité, est en effet une tyrannie plutôt qu'une sauvegarde? Elles ne seront que trop portées à le croire; mais toi, l'oserais-tu dire? Non sans doute, puisque tu as cru toi-même que cette autorité devait finir par triompher. Mais comment triomphe-t-elle chez toi? Par un autre scandale encore érigé en exemple. Tu nous donnes pour modèle une fille qui, après avoir appartenu à un homme dont elle est encore éprise, en épouse un autre par principe de conscience, et un sage (car il est athée) qui, par principe de délicatesse, épouse cette même fille dont il sait les aventures, et fait venir auprès d'elle son amant, par principe de prudence. Quel renversement inouï de toute raison et de toute morale! Il n'est pas sûr, comme tu le prétends, que toute fille qui lit des romans est déjà perdue; car il n'est pas sûr que, pour avoir commis une faute, on les commette toutes, et tous les romans ne sont pas, à beaucoup près, aussi dangereux que le tien. Cette sévérité outrée, à la tête d'un roman licencieux, n'est qu'une inconséquence de plus, et une excuse très-maladroite, qui consiste à supposer le mal déjà fait, pour te disculper du mal que tu faisais. Mais ce qui est sûr, c'est qu'un peuple chez qui un pareil ouvrage, quel qu'en soit le coloris, n'est pas généralement réprouvé comme un attentat contre les mœurs pu

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bliques, est un peuple qui extravague à force d'esprit; qui, à force de philosophie, a perdu l'instinct moral, et que l'amour des nouveautés rend capable de tous les excès.... Et c'est ce que la suite a prouvé.

Rien n'est plus visiblement marqué dans les écrits de Rousseau que cette tendance habituelle à se faire pour ainsi dire le centre de tout, le point de comparaison dont il rapproche tous les objets, le modèle sur lequel il veut tout régler. Il n'estime que sa manière de vivre, de manger, de voyager, de faire l'amour; il déprécie tout ce qui n'est pas lui ou de lui; et le plus souvent l'approbation et le blâme, ou, pour mieux dire, l'enthousiasme et le dénigrement, ne sont chez lui (la diction mise à part) que déclamation et sophisme. Il n'avait guère réussi en amour qu'auprès de quelques femmes de son pays, et encore quelles femmes et quels succès! et il fait un portrait épouvantable de toutes les On convient pourtant que, si elles ne sont pas généralement aussi belles que dans quelques autres contrées de l'Europe, on n'en trouve nulle part de plus aimables et de plus séduisantes, ni d'une meilleure société : c'est l'hommage que leur rendent même les étrangers: mais, à ses yeux, elles avaient deux grands défauts; elles ne l'avaient pas accueilli, et ne ressemblaient pas aux Julies du pays de Vaud. On lui passerait de s'extasier sur les femmes qu'il a aimées : rien n'est plus naturel

femmes de Paris.

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