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les philosophes, ce sont partout les prétres qui ont imaginé, pour leur intérêt, la Divinité, la religion, le culte; ce sont eux qui ont trompé le monde : il n'y a pas de lieu commun plus rebattu dans la philosophie moderne, et qui revienne plus souvent dans le Système de la Nature. Il y a pourtant une petite difficulté, c'est que, avant d'avoir des prétres, il a fallu nécessairement avoir des dieux; avant d'avoir des prêtres, il a fallu convenir généralement de la nécessité d'un culte. Il faut donc que les déclamateurs avouent que l'idée de la Divinité et le besoin d'une religion ne sont pas des intentions des prétres, et qu'au contraire nous n'avons des prétres que parce que tous les peuples ont cru à la Divinité et même à une religion; et certainement cette croyance, cette volonté, ce besoin, ne pouvaient venir des prêtres, qui n'existaient pas encore. Jugez maintenant du degré d'impudence ou d'ineptie que suppose une diffamation habituelle, tellement absurde et contradictoire, que, pour l'appuyer, il faut soutenir une impossibilité de principe et de fait; il faut soutenir que l'effet a existé avant la cause, ou, en d'autres termes, que deux et deux ne font pas quatre, et qu'il fait jour à minuit : c'est tout un.

Eh! qui, hors les athées, peut ignorer, peut nier cette vérité générale, de sens intime et d'expérience, que l'idée d'un premier être est naturelle à l'homme? Tout le monde ne l'a pas dit si éloquem

ment que Cicéron '; mais tout le monde l'a dit, la vu, l'a senti. Les athées seront toujours seuls contre le monde entier, et ce n'est pas ce qui les embarrasse et les humilie; au contraire, ils en sont tout glorieux. Mais, s'il est beau d'être tout seul, il est honteux d'être absurde; et quel est l'athée qui osera essayer ici de se disculper de l'absurdité? Je l'attends.

Une chose importante à remarquer dans les athées, et particulièrement dans l'auteur du Système de la Nature, c'est cette méthode uniforme qui paraît chez eux une précaution tacite et convenue, et qui consiste à paraître oublier qu'il y a eu avant eux des philosophes, des métaphysiciens, des logiciens, de grands hommes enfin, dont euxmêmes n'oseraient pas révoquer en doute le génie et les lumières, et qui se sont donné la peine de composer des théories rigoureusement raisonnées pour convertir en démonstration la croyance générale des hommes sur l'existence d'un Dieu créateur, la spiritualité et l'immortalité de l'âme. Il y a, par exemple, un Locke, qui n'était ni prêtre ni théologien, et qui ne passe pas pour un mauvais raisonneur, dont le nom même est sans cesse, depuis cinquante ans, dans la bouche de tous nos philosophes modernes. Ce Locke a surtout excellé, de l'aveu de tout le monde, par la justesse du rai

1 De Natura deorum, II, 2, etc., etc.

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sonnement: c'est le plus puissant logicien qui ait existe, et ses argumens sont des corollaires de mathématiques. C'est de lui que nos philosophes ont appris une vérité dont ils ont, je l'avoue, étran.gement abusé, que toutes nos idées nous étaient transmises par nos sens, organes intermédiaires entre les objets et la pensée. Ils ont fini par en conclure que toutes nos idées n'étaient que des sensations, et que nos sens et notre âme étaient la même chose : mais ce n'est pas la faute de Locke, s'ils ont pris un des principes de son livre pour démentir le livre entier. L'objet du livre entier, qu'il a intitulé De l'Entendement humain, est précisément de démontrer en rigueur que cet entendement est esprit, et d'une nature essentiellement distincte de la matière. Personne n'en a donné des preuves plus frappantes et plus lumineuses; seulement il ne veut pas affirmer, par respect pour la puissance divine, que Dieu ne puisse pas rendre la matière susceptible de pensée. Ce doute, plus religieux que philosophique', est la seule chose que les matérialistes aient vue dans son

1 C'est peut-être en effet le seul passage de Locke ou l'on ne retrouve pas cette exactitude sévère d'expression et de pensée qui le caractérise; car, au fond, ce doute n'est qu'un abus de mots : Dieu ne peut pas changer les essences, c'est-à-dire, ne peut pas faire qu'une chose ne soit pas ce qu'elle est et ce qu'il a voulu qu'elle fût; et si la matière devenait pensante, elle ne serait plus matière.

livre, la seule qu'ils aient louée, à peu près comme un vieux guerrier, qui, tout entier à son métier, et fort étranger aux lettres, ne connaîtrait de Voltaire que son nom et un beau vers :

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux.

Quand des professeurs d'athéisme se présentent pour détromper le monde de l'idée d'un Dieu, qui ne croirait qu'ils vont commencer du moins par détruire, autant qu'il est en eux, ces imposantes séries d'argumens, déduites par cette foule de philosophes de tous les temps et de toutes les religions, dont le concours unanime ne laisse pas à présent que d'être une sorte d'autorité? Que l'athée rejette avec mépris toute espèce d'autorité, à la bonne heure: je ne la donne que pour ce qu'elle est; et je sais qu'il n'y a point d'autorité contre un bon raisonnement. Mais commencez donc par me prouver qu'ils ont mal raisonné, et alors je vous abandonne et leur autorité et leur opinion; osez mettre sous les yeux de vos lecteurs ces argumens qui paraissent si clairs et si justes; montrez-y des paralogismes, des inconséquences, des contradictions: vous aurez déjà fait beaucoup, et vous aurez ensuite bien plus d'avantage à y substituer votre doctrine. Mais point du tout, pas un ne l'a même essayé ; je dis plus, pas un ne l'essaiera: d'où je conclus la mauvaise foi. L'on n'évite pas le combat lorsqu'on sent sa force, et s'y dérober toujours est un aveu

de faiblesse et d'impuissance. Il n'y a pas moyen de dire que c'est par mépris : on n'aurait pas bonne grâce à mépriser un Locke, un Fénélon, un Clarke, etc.; nos philosophes eux-mêmes, nos athées, ne l'oseraient pas. Je sais bien qu'ils l'osent entre eux : on ne rougit de rien entre complices, et l'on peut hasarder beaucoup en conversation. Ce mépris même alors prend chez eux l'air et le ton d'une pitié philosophique: ils plaignent généralement ces beaux génies qui n'ont pas eu le courage de s'élever au-dessus des préjugés vulgaires, comme un fou plaignait bonnement Molière de ne s'étre pas élevé jusqu'au drame. Mais par écrit et devant le public on est encore forcé, quoique athée, à quelque bienséance, et surtout il serait trop hasardeux de mépriser ce même Locke dont on a tant célébré le doute, que tous les apprentis incrédules qui ne l'ont jamais lu s'imaginent qu'il a été le chef des matérialistes et le père des déistes. Il y a généralement, dans cette tourbe des élèves de l'incrédulité, tant de légèreté et d'ignorance, que la plupart seraient fort étonnés d'apprendre que nonseulement Locke croyait en Dieu, mais qu'il croyait en Jésus-Christ, et que ses dernières paroles au lit de mort furent celles-ci: Je meurs persuadé que je ne puis étre sauvé que par les mérites de Jésus-Christ.

C'est lui qui, en saisissant une vérité inutilement aperçue et mal exprimée par les anciens,

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