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m'empêche de le nommer, d'autant que peu de personnes le connaissent pour auteur de ce livre. On sait aujourd'hui assez généralement de qui est le Système de la Nature; mais puisque les philosophes eux-mêmes n'ont pas cru, même depuis la révolution, devoir rendre authentiquement cet infâme livre à son auteur, je me crois obligé à la même retenue par respect pour sa famille que j'honore, et je me réjouis seulement que, malgré la révolution, l'athéisme soit encore si méprisable et si odieux dans l'opinion publique, que les athées eux-mêmes craignent de flétrir la mémoire d'un de leurs confrères en mettant son nom son ouvrage.

Quant au Christianisme dévoilé, il n'y a nulle raison pour ne pas dire ce qui en est. Cette déclamation extravagante et forcenée fut rédigée par un homme assez obscur, nommé Damilaville, commis au Vingtième, ami particulier de Diderot, l'un de ses deux écouteurs en titre d'office (l'autre vit encore), et devenu l'ami de Voltaire, sans autre titre que celui qui suffisait toujours auprès de lui pour dispenser de tous les autres, une haine furieuse contre la religion. On peut voir, dans les lettres de Voltaire, l'espèce de vénération qu'il affecte pour ce Damilaville, que nous avons tous connu pour un bavard importun et ennuyeux, sans esprit et sans instruction. Il fit son livre, en partie d'après les conversations de Diderot, et en partie

sous sa dictée, dans un temps où Diderot allait presque tous les jours passer la soirée à son bureau, quai Saint-Bernard, uniquement pour avoir le plaisir de parler tout seul et d'être admiré, car il ne pouvait pas en avoir d'autre avec Damilaville; mais on sait que celui-là lui suffisait. Le dépôt des exemplaires du Christianisme dévoilé était chez Damilaville, qui les vendait dix écus pièce. Je ne rapporte ici que des faits dont j'ai été témoin. Nous appelions dans la société ce Damilaville Et moi, je vous dis; nous lui avions donné ce sobriquet, parce qu'il avait coutume, au milieu d'une conversation où il n'était pas capable d'avoir une idée, de se lever tout à coup d'un air imposant, et de s'écrier Et moi, je vous dis; et il répétait, à quelques mots près, ce que venait de dire le dernier qui avait parlé. C'était le plus souvent d'Alembert dont il se faisait ainsi l'écho; mais, quand il parlait d'abondance, c'était Diderot dont il récitait les phrases, qu'il avait coutume de mettre tous les jours par écrit pour les mieux retenir. Il ennuyait mortellement mademoiselle de l'Espinasse, qui ne pouvait pas souffrir les pédans; mais elle le souffrait en faveur des lettres de Voltaire, qu'il apportait toutes les semaines, et qui lui servaient de passe-port, ainsi qu'à quelques autres.

Sur le Système de la Nature.

Voulez-vous savoir ce que c'est que le Système de la Nature? Voici ce qu'il est dans le livre qui porte ce titre.

« En s'attirant réciproquement, les molécules >> primitives et insensibles dont tous les corps sont » formés deviennent sensibles, forment des mixtes, >> des masses agrégatives par l'union de matières >> analogues et similaires que leur essence rend pro» pres à se rassembler pour former un tout. Ces » mêmes corps se dissolvent, ou leur union est » rompue lorsqu'ils éprouvent l'action de quelque >> substance ennemie de cette union. C'est ainsi que » peu à peu se forment une plante, un métal, un » animal, un homme.... C'est ainsi, pour ne ja» mais séparer les lois de la physique de celles de >> la morale, que les hommes, attirés par leurs >> besoins les uns vers les autres, forment des >> unions que l'on nomme mariages, familles, » sociétés, amitiés, liaisons, et que la vertu en>> tretient et fortifie, mais que le vice relâche ou >> dissout totalement. »

Pour tout homme un peu instruit, il n'y a pas un mot dans cet incompréhensible amphigouri qui ne soit, ou une supposition gratuite, ou une contradiction palpable. Le discours de Sganarelle sur les concavités de l'omoplate, et le cœur à

droite et le foie à gauche, n'est certainement pas plus ridicule, et vaut beaucoup mieux; car le délire bouffon vaut mieux sans doute que le délire sérieux. Comment descendre à réfuter cet amas de bêtises, qu'on ose appeler philosophic? Que dire de cette tranquille confiance, de ce ton gravement dogmatique en débitant ces inconcevables inep ties? Que dire de ces molécules, qui ne sont, sous un autre nom, que les atomes crochus, qui n'ont point fait le monde, mais dont le monde entier s'est tant moqué? Que dire du vice et de la vertu, nommés sérieusement quand il s'agit d'un agrégat de molécules, qui certainement, dans tout état de cause, n'est pas plus susceptible de vice et de vertu dans le tout nommé homme, que dans le tout nommé plante ou souris ; car où serait la raison de cette différence de résultat? On voit bien que l'auteur a eu peur de révolter trop en supprimant le vice et la vertu; mais comment ne pas rire au nez d'un homme qui veut que la vertu entretienne un agrégat de molécules, ou que le vice le dissolve? Pour faire sentir que c'est la seule réponse que mérite ce passage, et par conséquent tout le livre, qui n'en est que le développement, faisons-nous l'effort de parler sérieusement sur un seul point. Disons à l'auteur, c'est-à-dire, à tous les athées qui expliquent tout par ce grand livre: Messieurs, je vous accorde que le premier homme et la première femme ont été faits par un agrégat

XVIII.

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de molécules analogues et similaires. Pourriezvous me dire pourquoi les hommes et les femmes qui se font aujourd'hui se font constamment par un agrégat de molécules, qui certainement n'est pas celui qui a fait le premier homme et la première femme? car apparemment vous ne me direz pas que ce que nous appelons faire des enfans ait pu avoir lieu avant qu'il y eût un homme et une femme. Je propose cette petite difficulté à tous ceux qui nient la création, et qui tiennent pour les agrégats; et je les recommande à Dieu.

A travers cette foule d'assertions et de suppositions, qui, avec un appareil de mots scientifiques dénués de sens ou pris à contre-sens, se réduisent toujours, en dernier résultat, à ce seul énoncé, Nous disons, nous répondons, nous affirmons que cela est ainsi, parce que cela est ainsi, l'auteur essaie pourtant quelquefois des objections qui ont un air de raisonnement, et il fait voir de quelle force est son argumentation. Il veut prouver que la faculté pensante, que nous appelons âme, et que nous croyons immatérielle, ne peut être que matérielle; et voici comme il raisonne :

« Cette âme se montre encore matérielle dans » les obstacles invincibles qu'elle éprouve de la » part des corps. Si elle fait mouvoir mon bras quand rien ne s'y oppose, elle ne fera plus >> mouvoir ce bras, si on le charge d'un trop

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