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» mon essai, » Mais il n'y a rien à perdre, et si les observations sont d'une autre main, les apostilles sont bien de la sienne; et s'il y a vingt-sept paragraphes d'éloges, il y a seize commentaires de la même étendue, et où il parle en son nom, commençant toujours par ces mots, et j'ajouterai, en italique comme ici. Quand on commence par lui dire qu'il est homme de génie, grand écrivain et homme sensible, il ajoute que de ces trois qualités il n'accepte que la dernière; ainsi du reste. Quand on lui parle de ses connaissances (et il en avait réellement beaucoup, quoi que toutes fort mal digérées), il ne veut être qu'un moraliste passable; et c'est précisément ce qu'il est le moins. Il n'était pas né sans génie, ou plutôt sans imagination : c'est cette partie du génie qui est chez lui dominante, dans les idées comme dans le style. Mais l'imagination, quand elle est seule, avorte plus souvent qu'elle ne produit. Il faut qu'elle soit fécondée par le jugement, pour devenir cette force créatrice d'où naissent les conceptions soutenues et durables. L'imagination de Diderot, trop destituée de ce jugement en tout genre, ressemblait à une lumière qui a peu d'aliment, qui jette de temps en temps des clartés vives, et vous laisse à tout moment dans les ténèbres. Toujours prêt à s'échauffer sur tout, ce qui est un moyen sûr de s'échauffer souvent à froid, il ne pouvait s'attacher à rien de là les disparates

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continuelles d'un style scabreux, haché, martelé, tour à tour négligé et boursoufflé; de là les fréquentes éclipses du bon sens et les bizarres sailliesdu délire. Incapable d'un ouvrage, jamais il n'a pu faire que des morceaux; et c'est lui-même qu'il louait quand il réduisait le génie à de belles lignes. Il y en a dans tout ce qu'il a fait, plus ou moins rares; et toujours il faut les acheter beaucoup plus qu'elles ne valent.

Quant à son panégyrique, les bienséances de la modestie sont assurément les moindres de toutes celles qu'il n'a point respectées dans ses ouvrages; mais elles sont ici violées à un excès dont je ne crois pas qu'on trouve d'exemple avant nos jours, et avant le règne de la philosophie. On a déjà vu qu'il fallait compter parmi les exceptions en ce genre, qui ne touchent point à la morale, le privilége de la poésie, qui, en faveur de l'enthousiasme réel ou convenu, n'est point soumise aux règles ordinaires; et l'on sait de plus. que ceux des poëtes qui avaient le plus de droit à ce privilége sont encore ceux qui en ont le moins usé. Nous voyons aussi que, dans les deux siècles précédens, nos poëtes français ou latins, à l'exemple des Italiens et des Espagnols, et même nos savans et nos écrivains en divers genres, ne se faisaient pas scrupule de joindre à leurs ouvrages les complimens tournés en sonnets, en épigrammes, en acrostiches, que leur adressaient leurs.

confrères, à charge de revanche. Mais d'abord cette mode, qui tenait un peu du pédantisme attribué et pardonné à des hommes qui faisaient comme une classe à part, cessa presque entièrement dans les beaux jours de Louis XIV, quand les gens de lettres, devenus hommes du monde, et le savoir réconcilié avec la politesse, se soumirent à toutes les convenances sociales. Je ne crois pas que, depuis ce temps, on ait jamais vu un auteur imprimer son propre éloge, écrit par une main étrangère, mais anonyme, et l'enrichir de commentaires aussi longs que le texte : c'est porter l'égoïsme beaucoup plus loin qu'on ne peut le permettre ou l'excuser. Et ce qui rendait cette observation nécessaire, c'est qu'il était très-naturel et très-conséquent qu'une philosophie toute d'orgueil se dispensât ouvertement en cela, comme en tout le reste, des lois de la morale et de la société.

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Boullanger fut un des plus grands ennemis du christianisme, et s'en repentit amèrement à sa mort, qui fut prématurée. Il mourut à trentecinq ans. On convient que son érudition était fort embrouillée. L'envie de trouver partout des preuves du système qu'il s'était fait de l'antiquité indéfinie du globe terrestre, le portait à étudier précipitamment beaucoup de livres et de langues, et toute cette nourriture, dévorée à la hâte, devait être très-mal digérée. Les athées encyclopédistes, qui, en prenant de sa main quelques articles d'économie politique pour leur Dictionnaire, lui avaient tourné la tête d'amour-propre et d'impiété, et dont, en mourant, il détestait les leçons, cherchèrent à lui faire une réputation que ses ouvrages ne soutinrent pas, et se servirent de son nom, après sa mort, pour le mettre à la tête des plus scandaleuses productions. Mais Voltaire, qui ne ménageait pas toujours les athées, surtout quand ils l'ennuyaient trop, se moqua beaucoup

de l'Antiquité dévoilée de Boullanger, qu'il appelait l'Antiquité voilée; et il avait raison.

Boullanger, très-mauvais physicien, prétendait trouver dans le déluge, non-seulement la clef de toutes les fables païennes, ce qui est une exagération folle, mais la preuve physique de l'immense vétusté du globe. Des physiciens d'un ordre bien supérieur, tels entre autres que M. Deluc, y ont trouvé, au contraire, la preuve irrésistible de la vérité du récit de Moïse et de sa chronologie, et ont conclu que la Genèse ne pouvait être que divinement inspirée 1. Ce M. Deluc est si fort en géologie, et si convaincant en raisonnement, qu'aucun de nos savans athées n'a essayé de lui répondre, quoiqu'il les traite fort rudement. Mais les auteurs du Dictionnaire historique ne s'en sont pas moins trompés en attribuant à Boullanger, sur le bruit public répandu par les philosophes, une très-mauvaise brochure, intitulée le Christianismė

dévoilé. Elle n'était pas plus de lui que le Sys

tème de la Nature n'était de Mirabaud, le traducteur du Tasse et le secrétaire de l'Académie française, et que l'Examen des apologistes de la religion n'était de Fréret, quoique Fréret n'ait été plus religieux que Boullanger.

pas

L'auteur de ce dernier ouvrage (l'Examen) est encore vivant au moment où j'écris, et c'est ce qui

1 Voyez les Lettres géologiques de M. Deluc.

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