Imagens da página
PDF
ePub

nature que les passions de l'homme, et surtout les passions fortes, puissent jamais être égales: s'il est mû et déterminé, s'il agit ( et il faut qu'il agisse), c'est parce qu'il a toujours un mobile prépondérant en bien ou en mal. Si un fripon ne vole pas, c'est quand il y a plus de danger d'être découvert que d'espérance de ne l'être pas, et alors l'amour de la vie l'emporte sur l'amour de l'argent. Mais il ne s'ensuit nullement que dès lors le fripon n'existe plus; car il volera une autre fois, quand l'occasion fera le larron; et le dicton populaire a plus de sens que la philosophie de Diderot. La belle philosophie que celle qui nous assure qu'il n'y a plus de fripons dès qu'on a peur d'être pendu! La respectable morale! Ce ne serait pa même un axiome de police, tant il y a d'exceptions, tant y a de fripons qui disent, comme M. Longuemain :

il

S'il faut être pendu, ce n'est pas une affaire.

(Mercure Galant.)

Et où en sera la société, quand il n'y aura pas de risque de l'être? il y tant de manières d'être fripon sans avoir affaire à la justice!

Avec l'amour de la santé, en harmonie avec celui du plaisir, nous n'aurons donc plus de libertins! Quand cela serait vrai, il ne resterait plus à notre philosophe qu'à nous enseigner le moyen d'établir cette harmonie. Établissez, dit

il. C'est avoir le commandement beau; mais ditesnous du moins comment. Quel est le père qui, là-dessus, ne donne pas à son fils tous les avertissemens possibles, et souvent même les leçons de sa propre expérience? Y a-t-il beaucoup de jeunes gens qui en profitent? Cependant tout le monde aime la santé, quoique cet amour ne soit pas proprement une passion, si ce n'est dans les malades imaginaires; et alors c'est une autre espèce de mal: on se fait par la crainte celui qu'on ne se fait pas par le plaisir; et cela nous rappelle une autre vérité, que Diderot a oubliée, c'est qu'en elles-mêmes les passions fortes ne sont point des remèdes moraux, et par conséquent se corrigent fort mal les unes par les autres. Tout mouvement déréglé est un mal en soi : une passion forte n'est pas autre chose, et ce qui est déréglement ne saurait rien régler; cela répugne dans les idées et dans les termes. Des maladies qui se combattent ne produisent point la santé; seulement les unes sont plus dangereuses que les autres, et plus tôt ou plus tard mortelles.

La débauche avait un grand danger de moins chez les anciens que chez nous. La Providence, que l'on se plaît tant à inculper, a permis que la volupté eût depuis quelques siècles un poison qu'elle n'avait pas. En sommes-nous devenus plus sages? Non, c'est qu'elle a toujours son attrait, que l'attrait est proche, et le péril éloigné ou

douteux. Le point moral est donc de donner plus de force au péril du lendemain qu'au plaisir d'aujourd'hui. Et qui ne sait combien l'objet présent a de pouvoir sur l'homme; combien le désir est naturellement plus fort que la crainte, et les sens plus que la raison? Ce n'est donc point un équilibre chimérique qu'il faut chercher où il ne peut pas être; c'est un frein contre tant d'aiguillons. Sauf quelques exceptions qui ne font rien pour la généralité, il n'y en a réellement qu'un, qui même n'est pas infaillible, à beaucoup près, puisqu'il faut que l'homme demeure libre; mais qui très-certainement est reconnu par l'expérience le plus puissant de tous, soit pour opérer le bien, soit pour diminuer le mal. Ce frein, c'est la religion, la première de toutes les puissances morales, et sans laquelle même les autres n'ont point de base; et c'est celle-là particulièrement à qui nos philosophes ont juré une guerre d'extermination.

Les rêves en philosophie tant ancienne que moderne ont, d'un âge à l'autre, remplacé les rêves. Celui d'une perfection qui n'est pas dans l'homme fut autrefois celui des stoïciens; et nous n'avions pas besoin que Diderot vint nous crier, après

tant d'autres : « C'est le comble de la folie de se >> proposer la ruine des passions. » Soit, mais il n'y en a pas moins à chercher la même perfection que cherchait Zénon, rien qu'en opposant les unes aux autres les passions qu'il voulait anéantir:

l'équilibre, ici, n'est pas plus raisonnable que la destruction. Ce qui l'est, c'est d'observer, de contenir et de réprimer sans cesse l'ennemi avec qui l'on est condamné à vivre; c'est le combat de l'homme, comme disaient Socrate et Platon; et pourtant ils n'apportaient à ce combat d'autre arme que la raison, et eux-mêmes avouaient qu'elle état presque toujours impuissante sur la plupart des hommes. Mais du moins c'en était une véritable, et qui fut à leur usage et à celui de quelques autres. Ils étaient autant qu'ils pouvaient y être, dans la vérité, et il ne leur manquait qu'une plus grande lumière et une plus grande force. C'étaient des médecins qui accréditaient du moins le meilleur remède connu; et ceux de nos jours aiment mieux administrer des poisons, en rejetant à la fois et la raison des anciens sages et le secours des lumières divines.

Ce qu'il y a de particulier dans ces Pensées c'est que l'auteur semble ne s'être fait déiste que pour mieux combattre les athées. « Le déiste, ditil, peut seul faire tête à l'athée : le superstitieux » n'est pas de force.» Comme ce serait une véritable niaiserie que de supposer que le superstitieux fût de force en raisonnement contre personne, il est plus clair que jamais que le superstitieux ne veut dire ici que Chrétien. Celui-ci est assurément de force contre tout le monde, parce que sa force est celle de Dieu même; mais

ce que Diderot paraît ignorer, et qui n'est pas moins vrai, c'est que quiconque a du sens est de force contre l'athée, qui l'a perdu, au moins comme athée. Au reste, pour montrer les avantages du déiste contre l'athée, il met d'abord ent avant celui-ci armé de tous les argumens que Diderot lui-même a trouvés depuis plus concluans, puisqu'il les a reproduits quand il a combattu l'existence de Dieu. Comme il avait ici un autre objet, il les pulvérise par un seul raisonnement, qu'il se vante d'avoir employé le premier, quoique ce soit tout simplement celui de Descartes, mais qu'il développe en effet avec une vigueur et une vivacité qui joignent le mérite de l'élocution à celui de la dialectique. Il ne faut pas nous refuser le plaisir de voir les patriarches de l'athéisme, dans ces derniers temps, ici aux prises avec un déiste. Pour cette fois vous le verrez triomphant, et d'autant plus que, grâces à la nature de sa thèse, sa démonstration est aussi lumineuse qu'énergique. « Convenez qu'il y aurait de la folie à refuser » à vos semblables la faculté de penser. Sans » doute; mais que s'ensuit-il de là? - Il s'ensuit » que si l'univers, que dis-je l'univers ? si l'aile » d'un papillon m'offre des traces mille fois plus >> distinctes d'une intelligence que vous n'avez » d'indices que votre semblable a la faculté de » penser, il est mille fois plus fou de nier qu'il >> existe un Dieu que de nier que votre semblable

« AnteriorContinuar »