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enfans de la nature, qu'est-ce que le brigandage? Ce sont les cent mille moyens par les» quels nos lois ouvrent la porte à l'inégalité, et » autorisent le dépouillement du grand nombre » par une petite portion. Tout mouvement, toute opération' qui effectuerait déjà, ne fût-ce que partiellement, le dégorgement (vous ne doutez » pas que le dégorgement ne soit aussi égorge» ment, et vous le verrez tout à l'heure ) de ceux >> qui ont trop, au profit de ceux qui n'ont pas >> assez, ne serait point un brigandage; ce serait » un commencement de retour à la justice et au » véritable bon ordre... Diderot, que tu te complais » à citer, dit précisément que l'esprit de propriété et d'intérêt dispose chaque individu à » immoler à son bonheur l'espèce entière ; que la propriété est la cause générale et permanente » de toutes les discordes, de tous les maux, de » tous les crimes. Cela ne prouve-t-il pas claire»ment qu'en marchant à l'égalité réelle, à la » communauté des biens, il n'y a point à craindre de guerre civile qui soit comparable aux guerres

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dans

1 On voit aux pièces du procès ce que veulent dire, l'argot révolutionnaire, ces mots mouvement, opération, et cent autres du même genre: partout massacre et pillage sans exception. Jamais le bonheur commun n'a eu d'autres moyens; et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que ce bonheur-là ne pouvait pas avoir d'autres

moyens.

>> d'homme à homme et de peuple à peuple qu'en» tretient sans interruption notre état présent ? »

Avouons qu'on ne peut pas raisonner plus juste, et qu'un disciple de Diderot ne pouvait pas, sans être inconséquent, se dispenser d'être de la troupe de Babœuf. Aussi a-t-il bien senti tous ses avantages, et il tourne fort bien en exclamation oratoire, en apostrophe pathétique, son argument a fortiori. «Eh! nature, puisqu'on n'a pas hésité » devant les guerres sans nombre, ouvertes pour » maintenir la violation de tes lois, comment » pourrait-on balancer devant la guerre sainte et » vénérable qui aurait pour objet leur rétablisse

>> ment?

Remarquez que ce misérable, qui d'ailleurs était très-borné, qui a débité cent mille sottises de son cru, qui déraisonna dans son interrogatoire et dans ses défenses, et fut, sans comparaison, le plus plat et le plus sot de tous les co-accusés de Vendôme, ici pourtant, parce qu'il trouve un appui, non-seulement raisonne fort bien, mais devient même éloquent; car il y a vraiment de l'éloquence dans le rapprochement et l'opposition des deux idées principales de sa phrase. Mais à quoi tient toute sa force? A ces seuls mots, pour la violation des lois de la nature. Ils font frémir, je l'avoue, le bon sens et l'humanité; mais dès que vous avez admis avec Rousseau et Diderot que l'état social n'est, en effet, qu'une violation des

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lois de la nature, dès que leur abominable paradoxe est entré dans l'entendement à la suite des milliers de sophismes et de mensonges dont ils se sont fait un jeu de défigurer le tableau de la société, alors, je le répète, il ne reste plus de réplique à tous les Baboeuf du monde; et la plume du philosophe, qui donne ainsi raison au poignard du brigand et à la torche de l'incendiaire, estelle autre chose elle-même qu'une torche et un poignard?

Le tribun poursuit sa démonstration, et, toujours fort de son Diderot, il trouve chez lui tout ce qui peut écarter les doutes et les difficultés. » Diderot est plus consolant que toi. Il ne s'agirait, dit-il, que de faire bien entendre à la majorité lésée que ce nouvel ordre serait assez parfait pour que personne ne manquât du né› cessaire, ni de l'utile, ni même de l'agréable.

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Ici, je ne doute pas qu'on ne revienne encore à l'objection si souvent renouvelée et si souvent repoussée, que ces expressions, faire bien entendre, n'indiquent que des moyens de persuasion, de conviction, mots qui reviennent souvent dans l'ouvrage de Diderot, comme dans les commentaires de ses deux disciples; et que cela n'a rien de commun avec les mesures révolutionnaires. Et moi, je réponds encore et répondrai toujours, 1°. que dans d'autres endroits (et on le verra bientôt) la violence est invoquée, et semble même

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recommandée, non-seulement dans Diderot, mais dans Raynal; qu'ils ont tout légitimé contre ce qu'ils appellent oppression, tyrannie; et il est de toute évidence que pour eux tout ce qui n'est pas ordonné à leur gré est oppression et tyrannie leurs écrits le prouvent à toutes les pages. 2o. Je redirai encore que qui veut la fin veut les moyens, et les moyens quels qu'ils soient, quand la fin porte sur ce principe très-bien saisi par Baboeuf et consorts, et appliqué sans cesse en révolution, qu'aucun mal passager n'est comparable à des maux permanens, surtout quand il s'agit de leur faire succéder le plus grand bien possible et pour toujours; et voilà bien toute la théorie révolutionnaire, qui est bien authentiquement toute philosophique.

Diderot avait rejeté, avec autant de mépris que d'indignation, tout ce que les législateurs et les gouvernemens croyaient devoir opposer aux abus que la cupidité naturelle à l'homme peut faire naître dans l'ordre civil établi sur la propriété. Il avait dit que ces contre-poids, ces étançons, étaient eux-mêmes de véritables abus; qu'ils ne tendaient qu'à perfectionner l'imperfection; que ces remèdes palliatifs étaient les causes secondes des maux, etc. Babœuf se sert de toute cette rhétorique pour amener à résipiscence le timide orateur, qui veut aussi qu'on arréte au moins et qu'on circonscrive les ravages du chancre invé

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téré et inextirpable. Le fougueux tribun s'écrie: Quoi! citoyen, des palliatifs! Vous reconnaissez là, messieurs, l'accent de l'énergie républicaine. Il le soutient, et continue: « Les lois populaires partielles, les demi-moyens régénérateurs, les » simples adoucissemens, sont toujours sans so» lidité. » Or, savez-vous ce que c'est que ces adoucissemens et ces demi-moyens ? C'est tout ce qu'on a fait jusqu'en 1794: c'est vous dire tout en un seul mot, et vous ne connaîtriez pas la révolution, si vous ignoriez que l'énergie n'a jamais eu un autre sens. « Que le peuple exige une jus» tice entière, qu'il exprime majestueusement sa >> volonté souveraine, qu'il se montre dans sa toutepuissance, et, au ton dont il se prononce, aux formes qu'il déploie, tout cède, rien ne lui ré» siste, il obtient tout ce qu'il veut et tout ce qu'il >> doit avoir. >>

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Ce n'est pas ici que j'aurais besoin d'expliquer ce que veulent dire la justice, la majesté, les formes du peuple, le ton dont il se prononce. Le tribun du peuple, parlant à l'orateur plébéien, était sûr d'être entendu, quoiqu'il ne voulût pas en dire davantage dans une feuille publique et signée. Mais, sans même avoir recours aux pièces de son procès, on trouverait dans les placards qu'il affichait le détail de cette majesté de formes; et c'est pour la postérité seulement qu'il faut articuler que c'était le massacre général de

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