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tout commandement public, prescrite par le législateur Diderot: La raison veut, la raison ordonne. N'êtes-vous pas là au centre de la sublime révolution française? N'êtes-vous pas au milieu des cinquante mille temples de la raison, si fièrement relevés au moment même où je parle 1? Les rapports sont évidens. Il est tout simple qu'un philosophe, renonçant à être homme, devienne infaillible, et commande à tous les hommes au nom de la raison; comme il est tout simple que la raison révolutionnaire détruise tout ce qu'avait consacré la raison humaine, et que, dans la France révolutionnée, on lise, en grosses lettres, liberté, égalité, à la tête d'actes dont le despotisme aurait horreur.

Enfin il fallait, pour couronner l'œuvre, et pour qu'il ne manquât rien aux leçons que la Providence voulait donner au monde, ni à l'opinion qu'il doit avoir à jamais de la philosophie qui a régné dans notre siècle; il fallait que nos brigands républicains s'en emparassent de manière qu'elle ne fût pas seulement une doctrine armée, qui ne se soutient que par la force, mais qu'elle

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Depuis fructidor, toutes les assemblées de communes, dans les départemens, étaient indiquées dans l'église du lieu toujours avec la dénomination légale de Temple de la Raison. C'est à Paris seulement que, pour plus de variété, ils avaient donné à leurs temples les titres de leurs fêtes républicaines.

fût méthodiquement discutée entre les scélérats eux-mêmes, avec toutes les formes et toute la gravité des controverses politiques, afin qu'il ne fût pas possible de douter qu'en partant des principes de nos philosophes tous les crimes n'en devinssent les conséquences rigoureuses et incontestables. C'est ce qui a eu lieu, il n'y a pas long-temps, devant toute la France, d'abord dans les écrits de deux fameux patriotes', et ensuite devant une cour nationale 2. Tous deux, pleins du même esprit et d'une même estime l'un pour l'autre, ont aussi la même admiration pour la doctrine du bonheur commun (c'est le nom qu'ils lui donnent, parce que cette dénomination est à la fois plus noble et plus courte); ils ne diffèrent que sur la possibilité de l'établir. L'un des deux, en gémissant d'être venu trop tard, se permet de douter que nous soyons encore à temps de réaliser cette sublime théorie; il craint qu'après avoir répandu des flots de sang pour le bonheur commun on n'obtienne pour tout résultat qu'un vaste bouleversement 3 et cette crainte le fait hésiter sur l'entreprise. Il

1 Antonelle et Baboeuf.

3

2 Le tribunal nommé haute-cour nationale, siégeant à Vendôme, pour juger le nommé Drouet, maître de poste.

:

3 Ne lui sachez pas gré de cette crainte au moment où il écrivait, 1797, le vaste bouleversement était sous ses yeux. Il ne s'agissait plus que de l'entière destruction, dont le ciel a daigné nous faire grâce.

XVIII.

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faut entendre comme il s'explique: « Le droit de » propriété est la plus déplorable création de nos » fantaisies. Je suis convaincu que l'état de com» munauté est le seul juste, le seul bon, le seul >> conforme aux purs sentimens de la nature; que,

hors de là, il ne peut exister de sociétés paisibles >> et vraiment heureuses... Le nombre est infini de » ceux qui adoptent cette opinion, que les hommes >> réunis en société ne peuvent trouver le bonheur » que dans la communauté des biens ; c'est un des » points sur lesquels les philosophes et les poëtes, >> les cœurs sensibles et les moralistes austères, les >> imaginations vives et les logiciens exacts, les esprits exercés et les esprits simples, furent et se>> ront toujours d'accord. »

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Il est difficile de porter plus loin la plénitude de la conviction, et plus difficile encore de comprendre comment, si cette unanimité d'opinions existait, celui qui croit la voir partout ne croit pas possible d'effectuer un vœu sur lequel tant d'esprits différens ont été et seront toujours d'accord. Mais il ne faut pas trop presser, ni sur la vérité des faits, ni sur la justesse des raisonnemens, un philosophe révolutionnaire, qui prend pour une opinion les fictions et les saillies de quelques poëtes quand ils ont rêvé leur àge d'or, et les hypothèses de quelques discoureurs quand ils ont rêvé leur république. Ce qui mérite plus d'attention', c'est la conclusion de l'écrivain, toute contraire à

ce qu'on pouvait attendre. « Mais nous parûmes » trop tard au monde l'un et l'autre (lorateur plébéien qui parle ici, et le tribun du peuple

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auquel il répond), si nous y vînmes avec la mis>>sion de désabuser les hommes sur le droit de propriété. Les racines de cette fatale institu» tion sont trop profondes; elles tiennent à tout; >> elles sont désormais inextirpables chez les grands >> et vieux peuples. On ne pourrait marcher à l'a>>bolition effective de la propriété et à la conquête » de la communauté des biens que par le brigandage et les horreurs de la guerre civile, qui se>> raient d'abord d'affreux moyens, uniquement >> propres d'ailleurs à détruire la propriété sans >> nous donner la communauté. La possibilité éven>>tuelle du retour à cet ordre de choses, si simple » et si doux, n'est qu'une rêverie peut-être. »

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Sans ce peut-être, qui laisse encore lieu au doute, et sans cet épanchement de vœux philanthropiques pour cet état de choses si simple et si doux, je crois que toute la haute réputation de civisme, si justement acquise àl'orateur plébéien, ne l'aurait pas garanti de la terrible appellation de modéré, la plus mortelle de toutes en révolution. Mais le tribun, qui avait besoin de lui, ménage son cher égal1, et se contente de l'écraser par ses raisonnemens. Il faut avouer qu'il ne man

1 C'est un des noms que prenait la bande de Babœuf,

que pas d'armes contre lui, et d'armes victorieuses; il lui oppose toutes les autorités que tous deux reconnaissent également, les exemples et les maximes de la révolution, et les axiomes de Rousseau, de Mably et de Diderot. Il multiplie la répétition solennelle, et en lettres majuscules; de ces paroles mémorables du législateur génevois : « Vous êtes >>> perdus, si vous oubliez que les fruits sont à » tous, et la terre à personne. » Il lui représente que la révolution a démontré possible tout ce que jusque-là on avait cru impossible; et certainement entre deux révolutionnaires l'argument est concluant. Il ne reste donc plus qu'un pas à faire; et pourquoi serait-il plus difficile que tout le reste? Alors, avant d'en venir à ses moyens, il appelle au secours de ses principes celui qu'il nomme, dans son enthousiasme, notre principal précurseur, NOTRE DIDEROT; il copie les traits les plus forts de cet épouvantable tableau de l'état social qui vient de passer sous vos yeux; et, sûr de son triomphe, il a bientôt réduit à rien ces idées et ces expressions de brigandage et de guerre civile qui ont paru troubler le pusillanime orateur. << Serait-ce bien Antonelle qui définirait le brigandage à la manière du patriciat? Mais, dans le » sens où l'entendent les hommes justes et les

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la république des égaux ; et en conséquence le tribun écrivait à ses affidés : Mon cher égal.

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