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un des secrets du parti, avant qu'il eût des piques à ses ordres! Je ne saurais, quant à moi, exprimer tout le mépris ' qu'elle m'inspire.

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<< Plus d'excellence en poésie, en peinture, en >> musique, quand la superstition aura fait sur le » tempérament l'ouvrage de la vieillesse.»>

Ah! voilà enfin où l'auteur en voulait venir, et heureusement aussi, à mesure qu'il se découvre, l'absurdité se laisse voir dans toute son étendue : je défie qu'on trouve dans cette phrase l'ombre du bon sens. S'il s'agit de la superstition proprement dite, je ne vois pas pourquoi, dans ce cas même, un poëte, un peintre, un musicien perdrait son talent avant le temps parce qu'il serait superstitieux. La superstition est une petitesse ridicule qui peut influer sur la conduite et les mœurs, fort peu sur le talent; et quand Raphaël et Pergolèze auraient porté de petits cierges à toutes les madones du pays, et cru fermement à tous les miracles des bonnes femmes, je ne crois pas que cela eût empêché l'un de faire son tableau de

1 Je ne m'exempte point du tout de ce mépris, puisqu'il m'est arrivé, lorsque j'étais à cette école, de me servir moi-même de cette méthode pour justifier ce qu'il y avait de répréhensible dans l'Éloge de Fénélon et dans Mélanie; et pourtant j'étais naturellement ennemi du mensonge et de la dissimulation; mais cette philosophie et le mensonge sont essentiellement inséparables dans tous les sens.

la Transfiguration, ni l'autre son Stabat. Si la superstition signifie (comme a le droit de le penser, et comme tous ces philosophes-là, sans exception, veulent qu'on le pense) la religion, c'est encore, il faut trancher le mot, une bêtise: car qu'y a-t-il de plus bête que de démentir des faits sans nombre, qui vous écrasent dès qu'on les articule; de démentir tous les chefs-d'œuvre de tous nos grands artistes en tout genre dans le siècle dernier, et leur invariable attachement à la religion, qui n'est pas plus douteux que leur mérite? Il faut avoir un front de philosophe pour s'exposer à cet inévitable excès de confusion. Mais je vais plus loin, et je veux montrer un effet tout opposé dans ce qu'il plaît à cette tourbe insolente d'appeler superstition: je veux montrer dans le progrès de la piété le progrès du génie; ce qui est si loin de son affaiblissement. Jusqu'à Phèdre, Racine avait tou ours été très-bon chrétien: cela n'est pas équivoque : mais il était plus, il était dévot, et dévot jusqu'à renoncer au théâtre, quand il fit ce qui est universellement renommé pour son chef-d'œuvre et celui de la scène, de l'aveu de Voltaire même, Athalie. Qui croirait, si un philosophe ne nous l'apprenait pas, qu'un homme est si prodigieusement déchu quand il fait une Athalie ? Et Descartes! Vous verrez qu'il était devenu imbécile quand il laissa un ex-voto à Notre-Dame-de-Lorette.... Je

m'arrête passons à la conclusion de l'auteur.

« Ce serait donc un bonheur, me dira-t-on, » d'avoir les passions fortes.... »

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Avant d'entendre sa réponse, remarquez toujours qu'il se gardera bien de distinguer jamais ce que tout moraliste a distingué, les penchans louables et les penchans vicieux. Mais il sait bien ce qu'il fait les autres moralistes, n'ayant rien à déguiser, marchent au grand jour; les sophistes, au contraire, sont comme les voleurs, ils ont besoin de la nuit. Voyons à présent sa réponse: je crois bien que vous ne vous y attendez pas. «< Oui, » sans doute, si elles sont toutes à l'unisson. Éta>> blissez entre elles une juste harmonie, et n'en » appréhendez point de désordres. Si l'espérance » est balancée par la crainte, le point d'honneur >> par l'amour de la vie, le penchant au plaisir » par l'intérêt de la santé, vous n'aurez ni liber» tins, ni téméraires, ni lâches. >>

Ce qui est clair, c'est le but de l'auteur, qui est de retrancher tout frein moral, toute idée d'ordre, de justice, de conscience, toutes ces pusillanimes superstitions, et d'opposer seulement les passions aux passions, afin d'affranchir l'homme de ces petits moyens puérils de morale et de religion, entraves honteuses que des législateurs ineptes ou hypocrites ont crues de tout temps nécessaires, et que la philosophie du dix-huitième siècle a seule apprit à briser. Je vous répète des

phrases auxquelles vos oreilles ne sont que trop accoutumées, et que vous trouverez retournées de cent manières dans les autres écrits de Diderot et consorts, comme dans ceux de la révolution. Il y préludait ici avec un reste de réserve qu'il perdit bientôt quand on se crut à temps de parler sans ambiguïté. Mais si le dessein est aisé à voir, si même les expressions sont claires, il n'en est pas plus facile de trouver un sens dans la phrase, qui ne présente, quand on cherche le sens dans les mots, qu'une incroyable complication d'absurdités et d'inepties: Il y en a tant, qu'on ne sait par où commencer. Il est de toute impossibilité que l'auteur se soit entendu lui-même ; et Diderot est, de tous les écrivains, celui qui est le plus souvent dans ce cas, quoique je sois persuadé qu'il croyait s'entendre, tant il avait, dans la déraison, une sorte de quiétude, et, pour ainsi dire, de bonhomie que je n'ai vue qu'à lui, soit dans ses livres, soit dans sa conversation, et qui ressemblait parfaitement, ou à la folie d'un homme d'esprit, ou aux rêves d'un somnambule. Je ne doute pas non plus que bien des gens (et il en est que je pourrais nommer) ne trouvent une grande profondeur dans cette phrase de Diderot, comme dans mille autres de la même espèce : examinez-la ; vous n'y verrez qu'un amas d'idées contradictoires, le chaos dans toute sa beauté. Concevez, s'il est possible, comment des passions fortes,

dont aucune ne peut réellement s'appeler forte, que relativement à la faiblesse des autres, peuvent cependant être à l'unisson et dans une juste harmonie, comme les cordes d'un instrument. Je comprends qu'il appartient à nos philosophes de monter la machine humaine, la machine sociale, la machine politique, comme un instrument : ce qui n'est jamais tombé dans la tête de personne a dû tomber dans la leur; et l'on fait ce qu'on veut de sa machine, au moins sur le papier. Quand ils ont été à portée de l'exécuter, nous avons vu un échantillon de leur savoir-faire, et nous avons pu juger de leur juste harmonie, Mais quand on en est encore à écrire, il faut savoir au moins ce qu'on veut dire au lecteur; et si les cordes d'un instrument bien monté produisent ce qu'elles doivent produire, des accords parfaits, des passions exactement balancées les unes par les autres, et dans une juste harmonie, à coup sûr ne produi sent en réalité que l'absence de toute détermination et de toute action, comme des contre-poids égaux produisent l'immobilité de l'équilibre; et ce serait bien là, quoi qu'en dise l'auteur, un très-grand désordre, qui, heureusement, et en dépit de lui, est impossible. Il est certain que si l'amour de la vie est égal au point d'honneur, on ne se battra pas en duel; mais on n'ira pas non plus contre l'ennemi, on restera chez soi. En tout ( et c'est ce qui est décisif), il est contre la

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