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montré le bien qui peut résulter des grandes passions bien dirigées :

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Je veux que cé torrent, par un heureux secours
Sans inonder mes champs, les abreuve en son cours.
Vents, épurez les airs, et soufflez sans tempêtes;
Soleil, sans nous brûler, marche et luis sur nos têtes.

Diderot n'est pas homme à s'en tenir là, et quand le poëte est raisonnable en vers, le philosophe extravague en prose. Il prononce : « Il n'y a que >> les passions, et les grandes passions qni puissent » élever l'homme aux grandes choses. >> Ainsi, en rendant sa proposition exclusive pour la rendre plus forte, il ne réussit qu'à la rendre fausse; car le sacrifice d'une grande passion au devoir est à coup sûr une grande chose, puisque ce sacrifice est la vertu, et que rien n'est plus grand que la vertu, et très-certainement encore la vertu n'est point une passion: donc l'auteur n'a su ce. qu'il disait. Il continue sur le même ton : « Sans » elles point de sublime, soit dans les mœurs, soit dans les ouvrages. » Dans les ouvrages d'imagination, soit; dans les ouvrages de spéculation, non. Il y a du sublime dans l'Esprit des lois, dans l'Histoire naturelle, dans la Métaphysique de Platon, etc., et il n'y a là aucune espèce de passion. A l'égard des mœurs, c'est là qu'il fallait absolument distinguer les passions généreuses, car les passions perverses peuvent avoir aussi leur grandeur et leur force, et c'est tant pis; mais

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XVIII.

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plus cette distinction était nécessaire, plus l'auteur s'en est préservé. Il y a du sublime dans les mœurs romaines, parce que les grandes passions des Romains, dans les beaux jours de Rome, étaient l'amour de la patrie, de la gloire et de la liberté, et que ces passions-là sont belles en ellesmêmes. Quand ils y substituèrent celles du luxe, des plaisirs et des spectacles, leurs mœurs furent viles et dépravées, et pourtant leurs passions étaient encore grandes en ce genre, car elles allaient jusqu'à la fureur et au délire, témoin tout ce que nous savons de leurs histrions et de leurs cirques. Il y a du sublime dans les mœurs françaises la passion de l'honneur en est la source. L'histoire est pleine de traits qui l'attestent.

« Les passions sobres font les hommes com

» muns. »

Passons sur l'expression sobres, que l'auteur croit neuve, et qui n'est que forcée. Il est faux que les passions modérées (comme l'auteur voulait et devait dire) fassent toujours des hommes communs. Aristide, Marc-Aurèle, Phocion, étaient très-modérés dans leurs passions, très-sobres dans tous les sens, pour répéter le terme de l'auteur: étaient-ce des hommes communs? Et combien j'en pourrais citer d'autres!

Voyez ce que deviennent à l'examen ces sentences proclamées comme des édits en morale; voyez si elles peuvent résister un moment aux re

gards de la raison la plus commune. Mais combien de gens qui ne sauraient se persuader qu'on puisse se tromper quand on paraît si sûr de son fait, ni qu'on déraisonne si souvent quand on affirme toujours! Le plus grand avantage de nos. philosophes a été de bien connaître toute la sottise et toute la corruption des hommes de leur temps; leur grand tort, de ne pas prévoir qu'en changeant cette sottise en doctrine et cette corruption en loi, toutes les deux pourraient se tourner même contre leurs maîtres : c'est qu'ils n'ont eu que de l'esprit, et pas le sens commun. Toutes ces belles maximes que vous venez d'entendre, et mille autres où l'immoralité, qui n'est encore ici qu'en demi-jour, s'est enfin montrée à découvert, sont devenues le code du vice et du crime, qui ne demandaient que des autorités. Au moment où je parle, il est public, et vous le savez tous, messieurs, que c'est dans les écrits que j'analyse que sont puisées toutes celles dont s'appuyait un monstre dont j'ai quelque peine à citer le nom, mais dont au moins le nom dit tout, de Babeuf'. Si du moins des exemples de cette force pouvaient ouvrir les yeux! Mais poursuivons.

<< Les passions amorties dégradent les hommes >> extraordinaires. >>

1 On venait de publier en plusieurs volumes les pièces. de son procès, qui sont curieuses, et qui ne seront pas inutiles à l'histoire.

Si elles ne sont qu'amorties, elles ne peuvent guère l'être que par l'âge; et alors, s'il n'y a pas de mérite, il n'y a pas non plus de dégradation: si elles sont surmontées, ce ne peut être que par une force de réflexion, un retour sur soi-même, qui, bien loin de dégrader, ne peut que faire honneur. Qu'a donc voulu dire l'auteur? Voyons si ce qui suit le fera mieux comprendre. « La con>> trainte anéantit la grandeur et l'énergie de la » nature. Voyez cet arbre: c'est au luxe de ses >> branches que vous devez la fraîcheur et l'éten>> due de ses ombres; vous en jouirez jusqu'à ce » que l'hiver vienne le dépouiller de sa chevelure.>> Cette comparaison est encore de Voltaire, qui s'en est servi si fort à propos en prose et en vers; mais ici que signifie-t-elle ? Que les passions sont en nous ce qu'est dans un arbre le luxe de ses branches? Mais tout le monde sait qu'en taillant et élaguant les arbres, non-seulement on ne leur nuit pas, mais qu'on les fortifie, qu'on les embellit. I suivrait donc de cet emblème choisi par l'auteur qu'il faut corriger la nature en nous comme dans les arbres; et c'est pourtant ce qui est fort loin de son intention. Et que peut vouloir. dire ici l'hiver, qui achève la comparaison, si ce n'est que la vieillesse, en refroidissant en nous la sève des passions avec le sang, ne nous laisse plus niles mêmes moyens ni les mêmes forces, soit pour le bien, soit pour le mal? Eh! que peut conclure

l'auteur de cette vérité triviale? Où va-t-il? et que veut-il? Observez ici comme partout, dans les écrivains de la même trempe, l'affectation des termes abstraits, vagues, indéfinis, la grandeur, l'énergie, la nature, sans jamais énoncer quelle grandeur, quelle énergie, quelle nature; comme si tout cela ne pouvait pas être tour à tour, et selon les rapports différens, bon ou mauvais. Jamais un esprit droit, jamais un grand écrivain n'emploiera en morale cette façon d'écrire, qui prête à tout ce qu'on veut. Mais pourquoi ces hommes-ci, au contraire, y ont-ils si souvent recours? C'est, ou embarras dans leurs propres conceptions dont ils ne sauraient se rendre compte, ou vide dans les idées, qui se trouveraient nulles en pesant les termes, ou quelquefois une sorte de honte de leurs propres pensées, dont ils craindraient de s'avouer les conséquences trop révoltantes, en même temps qu'ils font tout ce qu'ils peuvent pour être devinés ou interprétés. Mais c'est principalement un dessein et une précaution pour se ménager une hypocrite apologie, s'ils se trouvent forcés de s'expliquer avant d'être les plus forts. Combien de fois leur est-il arrivé de recourir à ces misérables subterfuges, et de traduire au besoin leurs paroles en un sens tout contraire à celui qu'ils avaient bien réellement voulu leur donner! Combien de fois les a-t-on entendus s'applaudir de cette méthode d'artifice, long-temps

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