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Dieu, tirée du sentiment intime de tous les hommes. « Tous les hommes n'ont-ils pas cru qu'il

n'y avait point d'antipodes, jusqu'à ce que la » découverte du Nouveau-Monde en eût prouvé » l'existence? » Voilà leur phrase banale, et ils croyaient avoir répondu.

Mais à présent j'ajouterai, pour compléter cette preuve, et assigner la raison de cette uniformité de morale que l'auteur du Code a énoncée comme en passant, et s'est bien gardé d'expliquer, qu'il était impossible au Dieu créateur, que Diderot veut bien reconnaître dans ce livre, de ne pas donner à l'homme, qu'il a fait pour la société, l'espèce de connaissances sans lesquelles il ne pouvait pas y avoir de société; autrement Dieu eût été inconséquent, ce qui répugne. Or ces connaissances sont celles qui résident dans le sens intime commun à tous les hommes, dans la conscience du juste et de l'injuste. S'il eût été possible que les hommes ne s'accordassent pas généralement sur ces premiers sentimens, sur ces premiers devoirs; s'ils eussent été assez philosophes pour mettre en question si un champ appartenait à celui qui l'avait ensemencé et cultivé, une cabane à celui qui l'avait bâtie, la dépouille d'une bête à celui qui l'avait tuée, le bien d'un père à ses enfans, et les enfans à leurs parens, etc. (et c'est bien là l'origine de toute propriété naturelle, même avant la propriété légale); si ces prin

cipes n'avaient pas été dans la conscience et à la portée de tous, jamais une seule peuplade n'aurait pu se former. La philosophie, qui les a réduits en problèmes, aurait eu bientôt, si elle eût régné, anéanti l'espèce humaine. Ce sont, au contraire, ces préjugés-là, comme on les appelle dans le Code, qui l'ont établie en société, et qui l'y ont maintenue et l'y maintiendront, parce que la Providence ne permet pas qu'on touche impunément à son ouvrage. La révolution en est une terrible preuve.

Il ne tiendrait qu'à moi d'opposer encore ici philosophe à philosophe, et de faire voir que Voltaire a beaucoup mieux raisonné en vers que Diderot en prose sur la loi naturelle, dans un poëme fait exprès sur ce sujet, où il prouve qu'elle n'est nullement d'institution humaine, mais divinement gravée dans notre âme par celui qui a fait notre âme, et où il distingue très-bien ce qu'on affecte ici de confondre, c'est-à-dire ce que les opinions, les mœurs, les lois des différens temps et des différens peuples peuvent avoir d'arbitraire en elle-mêmes, et ce qui est essentiel et imprescriptible dans les idées morales communes à tous les hommes. Vingt fois le même écrivain, parlant comme pur déiste, a réfuté en prose les mêmes chicanes dont il se moque en vers. Mais ce n'est pas encore ici le moment de mettre aux prises nos adversaires les uns avec les autres: c'est un spec

tacle trop singulier et trop réjouissant pour ne le pas montrer dans toute son étendue; et c'est par où je finirai.

le

Mais il y a une autre espèce de sophisme dans le passage de Diderot, et d'autant moins à négliger, qu'il est tous les jours dans la bouche des élèves de la secte; ce qui indique d'avance combien il est frivole, puisqu'il est à leur portée : c'est la parité captieuse entre la morale et les mathématiques, parité dont il est bon de marquer vrai et le faux. A les entendre, si les principes de la morale avaient la même évidence que les propositions d'Euclide, elles forceraient de même l'assentiment universel; et c'est ce que Diderot insinue ici fort malignement, lorsqu'il dit que «< cette science devrait être aussi simple, aussi évi>> dente dans ses premiers axiomes et leurs consé» quences, que les mathématiques elles-mêmes. >> L'artifice est dans ces mots et leurs conséquences; car à l'égard des axiomes, ils sont, quoi qu'en dise l'auteur, ce qu'ils doivent être, d'une évidence égale à leur simplicité. Mais avant de dire pourquoi les conséquences ne sont pas toujours, et même ne peuvent pas toujours être absolument de la même évidence pour tous les hommes, je dois vous faire observer ce dont je vous avais prévenus d'avance sur la marche des sophistes. Si l'auteur avait regardé comme un devoir ce qui en est un, surtout dans des matières de cette impor

»

tance, de procéder régulièrement et de bonne foi, il était tenu, avant tout, de nous citer des exemples de ces absurdités données en morale pour des vérités incontestables, et de les remplacer ensuite par ces axiomes qui doivent être comme ceux des mathématiques; et sur l'un et l'autre, pas une phrase, pas une ligne, pas un mot. Et pourquoi? C'est que c'était là la question, et par conséquent ce dont, en sa qualité de sophiste, il a juré de ne jamais parler. Il se sert même exprès d'une tournure ambiguë, et qui le dispense d'affirmer ce qui aurait pu paraître trop révoltant, qu'il n'y a en effet aucune loi naturelle, aucun ordre moral, si ce n'est ce qu'il appelle les affections bienfaisantes, qu'il a soin, comme vous le verrez, de faire naître seulement de nos besoins. C'est toujours le même fond de système, plus ou moins déguisé ou modifié, celui de la sensibilité physique, ou de l'animalité, ou de l'organisation; mais toujours à l'exclusion de tout ce qui suppose une faculté intelligente, capable de discerner, par sentiment et raisonnement, le juste et l'injuste. Ainsi, en nous disant ce que devrait étre la morale, il s'abstient de dire s'il y en a une ou s'il n'y en a pas; et dans tout son livre il n'en est pas question. Il déclame contre tout ce qu'ont fait les hommes et les législateurs, il déclame sur tout ce qu'on aurait dû faire, et rien de plus. Et à quoi bon s'envelopper ainsi? Vous allez le savoir. Si on

!

lui eût dit, Répondez net; y a-t-il ou n'y a-t-il pas de morale, de loi naturelle? il aurait répondu, pour peu qu'il y eût eu du danger à dire non: « Vous voyez bien que de mes paroles mêmes » il suit qu'il y en a une. Quand je dis qu'elle de» vrait être simple et évidente comme les ma» thématiques, n'est-ce pas dire qu'elle existe? » Dire qu'une chose devrait être telle, mais qu'on » l'a faite tout autre, c'est au moins affirmer » qu'elle est. » Mais je suppose qu'un de ses confrères, un athée, lui eût dit: A quoi pensez-vous donc? Est-ce que vous voudriez insinuer, en rapprochant la morale et les mathématiques, qu'il y a une morale, comme il y a des mathématiques? Alors il aurait répondu : « Vous devez voir le contraire; » car, en disant ce que devrait étre la morale, et » ce que j'affirme être tout le contraire de ce que » l'on appelle morale, j'affirme implicitement, » mais clairement, que la morale est une chi» mère, un être de raison, comme les formes » substantielles de l'école. Et ne voyez-vous pas » que, si je l'avais dit aussi crûment, tous ces »cagots de déistes auraient crié comme Vol» taire, et réclamé leur grand Étre et leur con>> science?» Vous voilà, messieurs, initiés tout comme moi dans les rubriques de la secte: elles ont été un peu négligées, il est vrai, depuis la révolution, qui en dispensait; mais ne croyez pas qu'on y ait tout-à-fait renoncé. Non mais cela dé

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