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erreur, celle de tous les législateurs (il aurait dû dire de tous les hommes), qui ont cru que vices de la nature humaine et la concurrence des intérêts et des passions rendaient l'état social impossible sans des lois coercitives, qui, reconnues par le besoin général, maintenues par la force publique soumise à une autorité déléguée, protégeassent le droit contre l'usurpation, et la propriété contre la violence. C'est en effet le principe originel de tous les gouvernemens, quelle qu'en soit la forme; mais c'est en cela aussi que l'auteur prétend qu'on a méconnu la nature, ou par ignorance, ou par intérêt; que l'homme n'est réellement méchant que parce que nos gouvernemens l'ont rendu tel; que tous ses maux et tous ses crimes naissent de l'idée de propriété, qui n'est qu'une illusion, et non pas un droit ; de l'inégalité des conditions, qui n'est qu'une autre illusion et une autre barbarie; qu'enfin rien n'aurait été plus facile que de prévenir entièrement, ou du moins à peu près, tous ces crimes et tous ces maux, seulement en mettant à profit les affections bienfaisantes et sociales, qui suffisaient, selon lui, pour établir et maintenir la société, si on lui eût donné pour fondement la communauté des biens.

où était le nom d'un déterminé montagnard, alors assez mal famé, qui depuis est remonté à son rang. « Voilà,

» dit-il, un patriote! Oh! l'on ne m'ôtera pas mon >> énergie. »>

Ces extravagances inouïes sont développées, dans tout le cours de l'ouvrage, avec un ton de persuasion intime qui les rend encore plus inconcevables, mais en même temps avec l'expression de la plus violente fureur, de la plus virulente indignation contre tout ce qui a été appelé ordre social depuis le commencement du monde, sans exception de temps ni de lieu. Devant l'auteur tout est abominable: on dirait qu'il n'a écrit que dans le transport ou dans l'extase; et celle-ci s'empare de lui quand il considère tout le bien le bien immense, incomparable qu'aurait pu faire ce qu'il écrit, substitué à tout ce qui a été, à tout ce qui est. Dès qu'il est une fois dans cette contemplation, son âme se fond pour ainsi dire d'admiration et de plaisir; c'est absolument le rêve de ce fou qui entendait tous les jours les concerts du paradis. Vous concevez d'avance que, 'dans cette disposition, rien ne l'embarrasse, rien ne l'arrête, pour l'exécution de son système. Jamais il n'y voit la moindre difficulté : tout s'arrange de soi-même. Mais savez-vous comment? C'est que, tout hérissé de termes métaphysiques et scientifiques mal appliqués, et mal entendus, jamais il ne laisse approcher de lui l'homme tel qu'il est; c'est toujours l'homme tel qu'il l'imagine, tel qu'il lui plaît de le faire. Il ne lui en coûte rien pour regarder comme effectué tout ce qu'il propose: il n'y a qu'un point qu'il oublie

constamment, c'est de prouver jamais rien de tout ce qu'il met en fait ou en principe. Il faut de toute nécessité qu'il se soit persuadé que sa pensée et la vérité, sa parole et l'évidence étaient la même chose.

On a souvent demandé comment des gens qui d'ailleurs avaient fait preuve d'esprit avaient pu en même temps écrire des livres entiers contre le sens commun. C'est avec cette méthode, qui chez eux est invariable. Pas un de ces nouveaux professeurs de morale et de politique n'aurait pu aller à la seconde page, s'il s'était cru obligé, dès la première, de prouver, ou le principe dont il part, ou les faits qu'il suppose. Mais, soit préoccupation, soit mauvaise foi, soit plutôt l'une et l'autre ensemble, cette première démonstration est toujours mise de côté. Cette marche est aussi sûre que facile pour aller toujours devant soi sans trouver d'obstacle. Écartez un moment, prenez pour non avenues trois ou quatre vérités éternelles, oubliez trois ou quatre faits aussi vieux et aussi certains que l'existence du monde; mettez à la place trois ou quatre principes ou faits également faux, que vous appellerez des vérités, sans autre preuve que de les appeler ainsi; et, à partir de ce point, soyez sûrs que plus vous serez conséquens, plus vous déraisonnerez à votre aise. Telle est l'histoire exacte de toute la philosophie que j'analyse ici; telle est la substance de tous ces livres si scanda

leusement fameux, de l'Esprit, du Système de la Nature, du Code de la Nature, et de tant d'autres écrits de Diderot; d'un Essai sur les Préjugés, ouvrage anonyme du même genre; d'un autre, intitulé le Bon Sens, anonyme aussi, et dont le titre est le premier mensonge; en un mot, de tous les livres d'athéisme, de matérialisme, de déisme, etc, enfantés depuis trente ou quarante ans. Il y a plus, telle est, comme nous le verrons bientôt, l'histoire des erreurs d'un écrivain bien supérieur à tous ceux-là pour le talent, de J.-J. Rousseau, et particulièrement dans un de ses écrits qui a fait le plus de mal, l'inégalité des conditions. Ce n'est pas qu'il soit assez maladroit pour poser d'emblée, comme eux, des extravagances si révoltantes: ses majeures ne sont pas moins fausses pour le fond; mais il les déguise et les enveloppe avec une adresse qui les rend encore plus dangereuses, et qui l'aide à se dispenser, comme eux, de la de la preuve; et l'on a eu raison de dire que, si l'on n'a pas soin de l'arrêter au premier pas, bientôt sa dialectique, aussi subtile que sa logique est mauvaise, vous entraîne avec lui dans le torrent des conséquences, dont une éloquence insidieusement passionnée vous dérobe l'absurdité.

Nous n'avons pas ici à combattre cette espèce d'art; l'auteur du Code présente le mal sans déguisement et sans apprêt. Tout est également insensé et impudent, au point que l'on pourrait

regarder la réfutation comme inutile. Mais il ne faut pas perdre de vue l'époque où nous sommes. Avant la révolution, ce livre n'avait guère fait plus de fortune ni plus de bruit que ceux de Lamétrie sa grossière immoralité était la pàture secrète de ce qu'il y avait de plus ignorant ou de plus pervers dans toutes les classes de la société, et le zèle même de ceux à qui leur état faisait un devoir de combattre les mauvais livres avait abandonné celui-là à sa honteuse destinée. Mais tout est changé, et il est monté au premier rang avec l'espèce d'hommes pour qui seuls il était fait, et qui auparavant étaient comme lui au dernier. Pour dire tout en un seul mot, vous allez Ꭹ retrouver toute la morale et toute la législation révolutionnaire. Je dois donc vous prier, messieurs, de résister comme moi au dégoût il le faut. L'ignorance est devenue à la fois si commune et si puissante! La déraison, déjà si confiante, est devenue si insolemment despotique depuis qu'elle a joint les piques aux sophismes, les poignards aux mensonges, et les décrets aux attentats! On répète encore tous les jours si fièrement de si absurdes horreurs! C'en est assez, je l'espère, pour que les hommes honnêtes et éclairés se souviennent que, si la vérité n'a pas pour eux besoin de preuves, le vice et l'imposture n'en ont pas besoin non plus pour les sots et les méchants; et c'est eux qu'il faut ou détromper ou confondre.

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