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gion. J'aimerai toujours mieux que ce soit de dixsept à dix-huit. L'esprit sera plus mûr pour un examen de cette importance, et les fruits en seront meilleurs et plus durables. Enfin, cette exposition de la doctrine chrétienne, dogmatique et morale, que je place dans le cours de philosophie, Diderot la propose aussi dans sa dernière classe, qui est de quinze à seize ans, et vous voyez que nous ne différons que d'époque. Il est d'ailleurs assez singulier que je me sois rencontré avec Diderot, dans ce même projet, avant d'avoir lu son Traité de féducation publique, que je n'ai connu qu'au moment d'en rendre compte. « On suivra, dit-il, le >> plan commun des écoles de théologie. » C'est du moins une preuve qu'il ne le trouvait pas mauvais; mais je le crois beaucoup plus étendu, je dirai même plus vaste, que ne le comporte la nature des études séculières. Peu de gens savent tout ce qu'embrassaient celles de la théologie; mais pour le plus grand nombre des étudians dont ce n'est pas la destination, je répondrai à Diderot par un vers de Voltaire :

Et soyons des chrétiens, et non pas des docteurs.

SECTION VI

Code de la Nature.

1

In a tout à l'heure révoqué en doute si Diderot était l'auteur de cet ouvrage, et je conçois les motifs de ce doute élevé pour la première fois, au moment où les écrits de Diderot étaient annoncés parmi les objets de nos séances. C'est particulièrement sur ce Code que s'appuient les brigands dont le procès offre depuis si long-temps à la France un scandale de tout genre, égal à celui de leurs crimes. Ce Code n'est autre chose que cette doctrine du bonheur commun, de l'égalité des biens, substituée à ce grand fléau de la propriété; c'est tout le fond du système révolutionnaire, qui n'est nullement abjuré aujourd'hui, quoi qu'on en dise, mais qu'on a cru devoir atténuer et tempérer quand ceux qui se sont vu des moyens de domination les ont trouvés plus sûrs pour eux-mêmes que les moyens de destruction.

1 Baboeuf et ses complices, alors en jugement devant ce qu'on appelait la haute-cour de Vendôme. Babœuf fut condamné à mort; mais presque tous les autres furent ou simplement emprisonnés, ou pleinement acquittés. A l'instant où je revois cet ouvrage, une nouvelle révolution, qu'on appelle la journée du 30 prairial, les a remis au premier rang de la République, et cela était juste. (Note de 1799.)

Ce n'est pas que l'auteur du Code propose expressément les grandes mesures des frères et amis1; il s'en rapporte, lui, aux progrès de la raison et à la force de ses preuves; et c'est aussi pour faire régner cette raison que les patriotes ont joint à la force de ces preuves celle de la massue du peuple. Il est vrai que nos philosophes après avoir consacré mille fois cette massue dans leurs écrits, ont trouvé enfin qu'elle frappait trop fort depuis qu'elle les avait atteints eux-mêmes. Alors ils ont crié à la calomnie, qui dénaturait leur doctrine, attendu qu'ils n'avaient jamais prêché le massacre et le pillage aussi formellement que Marat. Non pas tout-à-fait, j'en conviens, car ils avaient plus d'esprit que lui. Mais lorsque, foulant aux pieds avec autant de mépris que d'horreur toute espèce de loi divine ou humaine, sans aucune exception, l'on n'établit d'autre loi que la raison, je demanderai d'abord de quel droit et par quel moyen la raison de l'un sera la loi plutôt que la raison de l'autre, puisque là-dessus tout le monde a les mêmes prétentions naturelles; et dès-lors voilà tous les hommes également affranchis de tout frein, si ce n'est de celui que chacun voudra s'imposer; ce qui fait un merveilleux or

On sait que frères et amis est le nom de guerre des patriotes; le bonheur commun, le mot d'ordre ; les grandes mesures, tous les crimes mis en loi : cela ne comporte point d'exception.

dre civil et social, comme vous l'avez vu dans la révolution. Ensuite, quand la raison des philosophes consiste évidemment dans l'entier renversement de toute autorité divine et humaine, je demanderai encore si le peuple qui les renverse n'est pas très-conséquent quand il se croit dèslors gouverné par la raison, et quand il exécute, au nom de la philosophie et de l'humanité, tout ce qu'on lui a prescrit au nom de la philosophie et de l'humanité. Enfin, pour me renfermer dans ce qui regarde Diderot, je demanderai, indépendamment de tout ce que vous allez entendre, s'il n'a pas donné le résultat général de sa doctrine dans ces deux vers, qu en sont comme le couron

nement:

Et des boyaux du dernier prètre
Sérrons le cou du dernier roi.

Ces deux vers, fameux depuis plus de vingt ans, ont-ils été assez répétés depuis 1789, et n'ont-ils pas été réimprimés, il y a quelque temps, avec la pièce entière dont ils sont tirés, et avec les variantes, dans les journaux philosophiques, qui en ont fait le plus grand éloge? Quelques-uns dirontils, avec cette pudeur hypocrite dans ils s'avisent quelquefois, que ce n'est qu'une gaieté? Quelle gaieté, bon Dieu! que celle qui met l'assassinat, le sacrilége, le régicide en plaisanterie! Ah! ceux qui se permettent celle-là savent trop bien qu'il

ne manquera pas de gens qui la prendront, comme elle a été faite, dans le plus grand sérieux; et la preuve de fait est aussi publique que mémorable. Point d'excuse pour cet excès de perversité, qui ne peut avoir que des complices pour apologistes.

Mais Diderot était un bon homme. Nous verrons ailleurs ce qu'était, et ce qu'est même encore la bonhomie de nos sophistes. Mais ici je me contenterai de répondre que l'abbé Raynal était aussi un bon homme, et beaucoup plus réellement que Diderot ; et cela n'a pas empêché que, dans un livre', dont ce même Diderot a fait la moitié, il n'ait laissé imprimer cette phrase au milieu de cent déclamations du même ton: લ Quand viendra donc cet ange exterminateur

qui abattra tout ce qui s'élève, et qui mettra » tout au niveau ?» Eh bien! il est venu, et Raynal, qui semblait l'attendre si impatiemment et qui ne le croyait pas si proche, l'a vu ubattre et niveler; il l'a vu comme nous, et a gémi comme nous; il a gémi dans les ténèbres et dans l'épouvante, en attendant la mort, qui a laissé du moins à sa vieillesse souffrante et proscrite tout le temps du repentir. Heureux s'il a été, comme je le crois, aussi sincère que légitime! Et peut-être aussi Diderot lui-même aurait gémi, si Diderot avait vu; mais, sans doute, ceux-là ne gémissent

'L'Histoire philosophique des deux Indes.

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