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Les poëtes seuls ici formeraient une preuve péremptoire contre Diderot. Ou il faut renoncer à les lire, ou il faut savoir la langue poétique, qui est tout autre que celle de la prose. Elle est toute en figures de diction, qui sont cette élégance proprement dite dont il ne veut pas qu'on parle aux écoliers, parce qu'ils ne réciteront pas des poëmes à Auguste. Non, mais ils peuvent en faire dans leur langue; et si Racine et Boileau n'avaient pas été à portée de lire Horace et Virgile, et de faire beaucoup plus que de les comprendre, n'auraientils pas eu un grand secours de moins pour leur génie, et un grand objet d'émulation de moins, celui de faire jouter leur langue contre celle des Latins, et même des Grecs? Vous voyez, messieurs, où j'irais, si je voulais pousser les conséquences de ces systèmes philosophiques, aussi meurtriers en fait de goût qu'en raison et en morale.

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Rien de plus frivole encore que cette importance exclusive que l'auteur attache à cet usage familier du latin de conversation. D'abord, comme on l'a vu, c'est celui qui nous est le plus rarement nécessaire; ensuite les langues vivantes déposent elles-mêmes contre le système de Diderot dans une langue morte. Un étranger qui ne voudrait apprendre le français que de cette manière, sous

1 C'était l'expression de Boileau.

prétexte qu'il ne le sentira jamais aussi bien que nous, pourrait se faire entendre de son cordonnier tout au plus, et n'entendrait pas mieux Racine et Montesquieu que le cordonnier lui-même, comme ceux de nos Français qui n'ont appris l'anglais et l'italien que dans les auberges d'Angleterre et d'Italie sont incapables de lire Pope et l'Arioste.

Cette méthode, dont il paraît faire grand cas, d'obliger les écoliers à parler latin, était celle des jésuites, chez qui l'auteur avait étudié. Elle fut toujours rejetée dans l'Université, et avec raison. L'on apprend mal et l'on sait mal une langue que l'on s'accoutume de si bonne heure à parler mal; et j'ai fait assez voir que, pour tirer quelque fruit du latin, il le faut savoir aussi bien qu'on le peut selon ses facultés. Diderot avoue, et c'est peut-être ce qu'il y a ici de plus plaisant, que cette entière connaissance du latin est nécessaire à ceux qui se destinent à l'enseigner. Mais comment, si elle est impossible, est-elle en même temps nécessaire? ou si elle n'est pas impossible pour les uns, ment l'est-elle pour les autres? Ainsi les uns auront bien appris pour enseigner mal. Et puis, il y aura donc deux écoles, une pour ceux qui ne veulent

uns, com

1 Témoin cet Anglais qui disait au sien : « Vous m'avez » fait des souliers trop équitables. » Si on lui eût appris les différences du mot juste au physique et au moral, il n'aurait pas fait cette faute.

du latin que pour parler aux Allemands, une autre pour ceux qui voudront lire Tite-Live et Tacite? Que serait-ce si, considérant l'érudition et les sciences, qui ne devaient pas être indifférentes à un savant de profession, je demandais à Diderot ce que deviendrait, dans son système d'études, cette langue dans laquelle sont écrits, depuis la renaissance des lettres, tant d'ouvrages de physique, de médecine, de chimie; en un mot, tant de livres excellens dans tous les genres de doctrine, qui n'ont été et ne sont encore à l'usage de toutes les nations de l'Europe et du Nouveau-Monde, que parce que le latin est, depuis le seizième siècle, comme la langue commune de tous les hommes bien élevés? Pour composer dans une langue vivante ou morte, il faut la savoir à fond; et parmi ceux qui l'étudient, quels seront ceux dont on pourra s'assurer d'avance qu'ils n'en feront jamais d'usage pour écrire ou pour enseigner?

Mais, quand même ce ne serait ni pour l'un ni pour l'autre, je dis encore que l'on ne sait pas bien le latin, si l'on n'est pas en état d'écrire en latin; et c'est pour cela que j'ai toujours approuvé et soutenu l'usage des thèmes, que d ns ces derniers temps on s'était aussi avisé de proscrire. Les maîtres de l'Université se moquèrent de cette proscription philosophique, et eurent grande raison. Les philosophes traitèrent leur expérience de pédantisme, et en cela, comme en tout, ils dérai

sonnaient. J'ai vu des gens du monde, et qui étaient gens d'esprit, que la curiosité avait engagés à se mettre à l'étude du latin, qu'ils avaient négligé dans leurs classes, et qu'ils n'avaient rappris qu'en expliquant les auteurs: je puis affirmer qu'ils n'en connaissaient tout au plus que le sens, surtout dans les poëtes, et qu'un médiocre rhétoricien voyait cent fois plus de choses dans vingt vers de l'Énéide qu'ils n'en pouvaient voir dans le poëme ent er. Pourquoi? c'est qu'il avait long-temps fait des thèmes et des vers latins; et quand cela ne lui aurait servi qu'à sentir ce qu'on ne saurait sentir autrement, dira-t-on que ce n'est rien?

Laissons donc les choses comme elles sont; car elles sont généralement bien. Laissons à l'ignorance révolutionnaire à pratiquer, et même exagérer, dans ce qu'elle appelle instruction publique, les rêveries de nos sophistes, cela est dans l'ordre du jour, et vous savez ce que signifie ce jargon et jusqu'où il ira. De pareils maîtres n'ont écrit que pour de pareils disciples, comme les charlatans ne parlent que pour faire des dupes.

Dans la cinquième classe, de douze à treize ans, Diderot veut faire lire les Prophètes et l'Histoire ecclésiastique. Ni l'un ni l'autre : c'est trop tôt. « On y verra, dit-il, avec admiration la su»blimité des idées et l'exactitude des rapports, » fondemens sensibles de la religion. » Oui, l'on verra tout cela, quand on sera en état de le voir,

dans le cours de philosophie. Jusque-là quelques
beaux morceaux des Prophètes pourront seule-
ment être offerts aux rhétoriciens, ou comme
modèles de sublime, ou comme matières de com-
position en vers. C'est lorsqu'il s'agira d'appliquer
la philosophie à la religion que l'Abrégé des An-
nales ecclésiastiques doit venir à l'appui des deux
Testamens, comme les faits à l'appui des dogmes
et des prophéties. Mais, n'en déplaise à Diderot,
jamais on ne mettra, entre les mains de la jeu-
nesse étudiante, un livre aussi infidèle et aussi
dangereux que l'Essai sur l'Histoire générale de
Voltaire. Jamais il ne conviendra de leur en parler
que pour leur en faire voir les erreurs et les men-
songes, que ne saurait autoriser ni excuser le
mérite du style1. D'ailleurs, Diderot n'a
pas songé
que de pareils abrégés, fussent-ils composés dans
un bon esprit, ne sont vraiment utiles qu'après
qu'on a lu chaque histoire particulière dans les
auteurs qui les ont le mieux traitées, et dont même
ces résumés rapides supposent la connaissance an-
técédente, sans quoi l'on n'en peut tirer qu'une
instruction très-superficielle.

De quatorze à quinze ans, il veut faire argumenter sur les preuves métaphysiques de la reli

1 L'auteur se proposait d'analyser cet ouvrage et d'en réfuter les principales erreurs à l'article Histoire; mais il n'en eut pas le temps; on a vu précédemment que ce chapitre manquait,

XVIII.

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