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suites funestes, car l'éducation trop tôt terminée, et la jeunesse trop tôt émancipée, sont deux causes d'ignorance et de désordre, qui existaient en France beaucoup plus que partout ailleurs, et qu'une triste expérience doit nous apprendre à éloigner.

Pour revenir à la grammaire, il est facile de comprendre qu'elle ne peut avoir aucune espèce de rapport avec l'enfance, et c'est une considération qui n'est pas à négliger. L'étude des langues n'est et ne peut être d'abord que celle des mots et des constructions, étude abstraite, trop rebutante pour un âge à qui toute étude déplaît par elle-même, si l'on n'y joint au moins un attrait. Et pourquoi n'en faudrait-il pas à l'enfance, puisqu'il en faut même à la raison? Comment voulezvous qu'un enfant de huit à neuf ans se soucie l'adjectif s'accorde avec le substantif en genre, en nombre et en cas? Pas plus qu'il ne peut le concevoir. Tous ces termes scolastiques ne peuvent

que

que lui faire peur et le mettre au désespoir. Aussi,

que faisait-on? La théorie étant impraticable, on se traînait pendant des années sur la pratique répétée, et c'était seulement par cette répétition presque machinale qu'enfin l'écolier de quatrième commençait à ne plus guère se tromper dans l'application des principes qu'il n'entendait encore, ainsi que les mots mêmes, que très-imparfaitement, et dont aucune des classes suivantes ne

lui donnait l'analyse. C'était une perte de temps, et d'un temps précieux; et j'ai vu des enfans de sept ans occupés ainsi du rudiment sans aucune utilité. Si, au contraire, vous reculez l'étude du grec et du latin jusqu'à onze ans, toutes ces difficultés s'aplanissent. Trois ans, quatre ans, sont beaucoup à cette époque : alors un écolier apprendra en six mois, en un an tout au plus, la grammaire latine et grecque, que rien n'empêche de faire marcher de front, parce que, s'il n'est pas dénué d'intelligence et de mémoire, il est fort en état de se rendre un compte raisonné de ce qu'on lui enseigne, et de saisir les rapports et les différences des deux syntaxes. Ce serait de plus une préparation pour la grammaire française, que l'on apprendrait en seconde, afin de pouvoir écrire en français dans les compositions de rhetorique, et de cette manière on ne sortirait pas du collége sans avoir au moins quelque connaissance théorique de sa propre langue, comme il n'arrivait que trop souvent.

C'était aussi le seul changement important que j'eusse désiré dès 1790, et je le proposais alors', en rendant d'ailleurs au système général des études de l'Université, et à l'esprit qui le diri

1 Dans le Mercure de France, dont la partie littéraire venait d'être confiée de nouveau à trois académiciens, MM. Marmontel, Chamfort et moi, afin de pouvoir effectuer le paiement des pensions.

geait, toute la justice qui lui était due et que j'avais opposée en tout temps à ses aveugles détracteurs. Je réduisais ainsi à qu tre années, au lieu de six ou sept, ce qu'on appelle le cours d'humanités, c'est-à-dire les langues grecque et latine, qui, dans mon plan, ne devaient jamais se séparer, et je suis persuadé que ce cours, commencé plus tard, peut en effet être achevé en moins de temps, et que quatre années classiques peuvent y suffire. Mais à celles de rhétorique et de philosophie j'ajoutais, de dix-huit à dix-neuf ans, pour ceux qui se seraient destinés au talent de la parole, une classe nouvelle que j'appelais la rhétorique supérieure, parce que, fortifiée des connaissances philosophiques qui l'auraient précédée, elle devait avoir pour but immédiat de former des orateurs, soit pour la chaire, soit pour le barreau. Mon cours entier d'études, diminué dans ses commencemens et prolongé sur sa fin, mais enrichi de nouveaux objets à l'une et à l'autre époque, durait huit ans comme l'ancien, mais ne finissait qu'à dix-neuf ans. Je suis convaincu que cette prolongation est utile en elle-même, et j'ai pour moi l'exemple d'un peuple très-éclairé, les Anglais, qui ont formé sur ce principe les écoles d'Oxford et de Cambridge, et qui les poussent même beaucoup plus loin; ce qui fait qu'en général leur jeunesse est plus instruite que la nôtre 1.

1 J'ai eu occasion de voir à Paris M. Fitz-Herbert, lors

En général, on abandonnait trop tôt, parmi nous, à une dangereuse indépendance cette inappréciable saison de la vie, la seule où l'on puisse tout apprendre et tout retenir, celle où les organes ont toute leur fraîcheur et toute leur force, et dont on ne saurait trop profiter avant qu'elle soit livrée aux distractions et aux passions.

Diderot, dans sa troisième classe de dix à onze ans, recommande d'abord l'histoire sainte; car ici la religion est toujours chez lui en première ligne. Il ajoute : « Il ne faut pas glisser trop légèrement » sur les lois de Moise: c'est un chef-d'œuvre d'é» conomie politique', dont les plus fameux légis» lateurs n'ont pas approché.» Ici du moins je puis répondre de sa bonne foi; je sais personnellement que c'était son opinion, et qu'il voyait à la fois dans Moise le plus grand poëte et le plus grand législateur qui ait existé. Il a d'ailleurs manifesté cette même opinion en plusieurs autres endroits de ses ouvrages 2; en cela plus judicieux

qu'il y fut envoyé par le cabinet de Saint-James : il citait de mémoire Homère et Démosthènes comme aurait pu faire alors un de nos professeurs de rhétorique, et il m'assura que rien n'était moins rare dans son pays; mais rien n'était moins commun dans le nôtre.

1 Pourquoi donc, dira-t-on, les Juifs en ont-ils si peu profité? Vous trouverez la réponse dans l'Apologie: il faut que chaque chose soit à sa place.

? Notamment dans l'Éloge de Richardson.

que Voltaire, qui affectait un mépris fort, inepte pour les lois de Moïse et la poésie des livres saints. Mais je ne suis plus de l'avis de Diderot quand il ajoute: «Des enfans de cet âge ne peuvent pas >> sentir ce mérite; mais il leur en restera une idée » qui servira dans la suite. »

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Je n'en crois rien. S'ils ne peuvent pas le sentir, il est donc très- inutile de leur en parler. C'est toujours dans Diderot, et dans les réformateurs de la même espèce, l'oubli d'un principe invariable qui prescrit de proportionner toujours la nature et les objets de l'instruction à l'âge des élèves. Il serait même ridicule de faire lire à des enfans de dix à onze ans le Lévitique et le Deutéronome, et de prétendre le leur expliquer; c'est comme si l'on faisait lire en quatrième l'Esprit des Lois et la Politique d'Aristote. Quelle fureur de tout déplacer, de forcer sans cesse les choses et les temps! Mais telle est partout cette philosophie, dans l'éducation comme dans les lois. Ne veut-il pas encore que l'on fasse traduire ici des extraits de la Bible et des Pères ? Pour la Bible, oui, en y mettant du choix; et c'est à quoi jamais on n'a manqué : c'est pour cela même qu'a été fait le petit abrégé qu'il indique, Selectæ è veteri, avec la précaution très-bien placée de le rédiger en meilleur latin que la Vulgate, dont les auteurs n'ont songé qu'à la littéralité de la version. Aussi ce petit livre est-il d'un usage uni

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