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toutes ces leçons, un peu sévères pour la légèreté de cet âge, se confondant bientôt, dans l'opinion et dans le discours, avec toute cette discipline de collége qu'on ne traitait plus que de pédantisme, dès qu'on n'y était plus assujetti, tout cela ne paraissait plus qu'une routine d'école, qu'on oubliait bientôt, comme le latin; et la raillerie philosophiste avait beau jeu à vous renvoyer, sur la religion, à votre précepteur et à votre bonne. Trois ou quatre sophismes usés, trois ou quatre plaisanteries triviales, mais qui étaient des nouveautés pour la jeunesse, leur semblaient des lumières d'hommes, faites pour remplacer la crédulité de l'enfance, comme la liberté du monde pour remplacer la férule. Et combien peu étaient en état de résister à une séduction qui faisait disparaître toute idée de joug dans l'âge où il parait le plus gênant! Quelle devait être l'autorité de la mode, et la crainte d'une sorte de ridicule, pour les jeunes esprits qui n'avaient à y opposer que des leçons fort bornées, et dont ils se souvenaient d'autant moins qu'ils les avaient entendues avec moins d'attention et d'intérêt ! Je ne prétends pas qu'il eût fallu faire de tous les étudians autant de théologiens : chaque état a ses devoirs particuliers. Mais que fallait-il pour prémunir et armer la jeunesse contre des erreurs de l'esprit, si favorables alors aux faiblesses du cœur et à la fougue des sens? qu'elle fût au moins en état de répondre sur

sa religion, comme elle aurait pu le faire sur ce qu'elle avait appris de la rhétorique, des humanités et de la physique; et c'est ce qu'elle ne pouvait guère, faute d'un moyen qui était, ce me semble, une lacune dans les études. C'est dans le cours de philosophie, qui est de deux années, et où les jeunes gens sont assez forts pour la logique et la métaphysique; c'est là qu'il devait y avoir un semestre consacré à l'application de ces deux sciences aux principes de la religion. Dès lors, j'ose le croire, elle eût paru tout autre : en devenant une science d'homme, elle acquérait de l'importance même pour l'amour-propre, qu'il faut bien inté resser à tout, puisqu'il est de l'homme. Dès lors ce n'était plus le catéchisme de l'enfance, dont on se moque si aisément et si platement, parce qu'il ne contient que ce qu'il doit contenir pour cet âge, des dogmes qu'il faut l'accoutumer à croire avant qu'il soit à portée d'en comprendre les preuves : c'était tout autre chose; c'était, comme le dit ici Diderot lui-même, la première des sciences, la philosophie la plus sublime. Et qui doute que l'ame sensible de la jeunesse ne soit faite pour en' sentir le charme et l'élévation? Avec quelle facilité elle aurait appris à se jouer de ces hommes qui ne se hasardent guère à raisonner là-dessus en conversation que quand ils ne voient personne er état de leur répondre, qui ont toujours à la main deux ou trois objections, souvent même mal ap

prises, mille fois réfutées, et dont il ne reste que le ridicule dès qu'on y a répliqué!

Et quel avantage n'a-t-on pas sur les moqueurs, quand on a prouvé leur ignorance! Souvent elle est telle, que l'homme instruit est obligé de refaire leur objection même qu'ils ne savent pas expliquer, et qu'il peut s'amuser à faire la demande pour eux et la réponse pour lui. Croyez qu'ils ne feraient pas meilleure contenance devant un homme ainsi préparé, que ce raisonneur maladroit qui venait de déraisonner sur la physique devant un académicien des sciences qui n'avait pas jugé à propos de dire un mot. «Eh bien! monsieur » l'académicien, à quoi donc est bonne une aca» démie des sciences, si vous ne pouvez pas nous » rendre compte de ces faits-là? A vous ap» prendre, monsieur, ce que vous paraissez igno»rer, qu'il ne faut jamais prononcer que sur » des faits certains. » Et le savant fit voir aussitôt à la société, en fort peu de mots, que l'ignorant avait disserté sur ce qui n'existait pas, et n'entendait pas même les termes dont il s'était servi. L'on peut juger de quel côté furent les rieurs.

Dans le plan de Diderot, les objets de la première classe, de huit à neuf ans, seraient la morale, la physique et la grammaire raisonnée, celle de Port-Royal. Je ne suis nullement de cet avis, tout cela est trop fort pour cet âge : ce pour cet âge : ce qu'il faut occuper alors, c'est la mémoire et les sens, qui

précèdent les progrès de la raison. Quand on sait lire et écrire (ce que l'on n'apprend rien que dans cette première époque de la vie ), l'arithmétique et la géographie, le dessin pour ceux qui montrent de la disposition en ce genre, me paraissent l'occupation la plus naturelle et la plus à leur portée. L'arithmétique peut leur plaire par la certitude et la facilité de ses opérations, que l'heureuse invention du décuple progressif, par la juxtaposition des nombres, a rendues presque mécaniques; et la satisfaction de trouver des résultats toujours sûrs, quoique sans savoir encore pourquoi, est un attrait de plus qui peut faire éclore le germe du talent dans ceux qui auraient naturellement du goût pour les sciences exactes. La géographie amusera leur curiosité et leurs yeux, qui apprendront à lire sur la carte, et leur mémoire s'exercera à retenir les noms dont la carte fixe le rapport dans leur pensée. Mais les faits que peut montrer la physique exigeraient des explications que les enfans demandent toujours, et qui sont au-dessus de leur intelligence. C'est par la même raison qu'à cet âge je n'étendrais pas leurs études géographiques au delà du globe terrestre, réservant l'application de la sphère céleste pour la classe de philosophie, dont les élémens d'astronomie font une partie ordinaire. En général, il ne faut appliquer les enfans à rien qui puisse porter trop loin leur curiosité naturelle,

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que l'on risque de rebuter quand on ne saurait la satisfaire; et l'arithmétique et la géographie n'ont point cet inconvénient. Des traits d'histoire à leur portée sont aussi pour eux un exercice de mémoire, et un plaisir qui est fort de leur goût; et c'est, à mon gré, la vraie manière de leur donner alors des idées de morale usuelle, dont ces traits bien choisis doivent toujours renfermer une leçon, mais une leçon très-simple et faite pour l'instinct naturel, comme les bons apologues. La morale raisonnée et méthodique est, au contraire, une partie essentielle de la philosophie, qu'il ne convient pas d'entamer avant de pouvoir l'achever, et renvoyée par conséquent à la fin des études. A l'égard de la grammaire, j'ai toujours pensé qu'on la commençait trop tôt dans les colléges, et de là vient aussi qu'on l'y apprenait mal. Le dégoût trop fréquent qu'elle inspirait dans les premières classes aurait dû faire sentir qu'il n'y avait point d'étude moins faite pour l'enfance, et je me souviens encore de la douleur que me causait l'extrême difficulté de comprendre, avec la meilleure volonté du monde. Déjà sans doute il Ꭹ aurait eu sur ce point une réforme dont on avait aperçu la nécessité, si les parens euxmêmes n'eussent voulu à toute force faire entrer trop tôt leurs enfans au collége, pour les faire entrer trop tôt dans le monde. C'était un double tort qui tenait à d'autres abus, et qui a eu des

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