Imagens da página
PDF
ePub

sur tes propres paroles, tu n'y aurais vu que ta condamnation. Ils ont appelée, dis-tu : ils est là évidemment pour tous les hommes, parce que tu as craint d'articuler une généralité qu t'effrayait. Mais quel peut être ton motif pour révoquer en doute la croyance intime de tous les hommes? Ce ne peut être assurément que la crainte de te tromper avec eux. Tu ne pourrais pas en alléguer un autre. Mais d'abord, puisqu'il n'y a de ta part qu'un doute, n'y a-t-il pas une autre crainte plus fondée que celle de se tromper à peu près tout seul? Voilà pour la vraisemblance d'opinion. Voyons à présent l'effet moral. Dans le doute s'il y a erreur, qu'y a-t-il à considérer avant tout? N'est-ce pas ce qui peut en résulter? Mais par ce principe, qui est évident, te voilà sans excuse et sans ressource, de ton aveu; car ne nous dis-tu pas, ne dis-tu pas à Dieu, que, même sans être sûr qu'il te voie, tu veux penser et agir comme si tu étais devant lui? Tu reconnais donc que l'idée d'un Dieu est le premier mobile et le premier motif de tout bien; et si pour toi cette idée, seulement comme possible et problématique, est encore la règle à laquelle tu te glorifies de te conformer, que sera donc pour toi-même comme pour les autres, l'idée d'un Dieu réel et reconnu? Si le bien est déjà dans la seule possibilité, où est donc, où peut être le danger de la réalité ? Par la raison des contraires, il ne peut y avoir de danger et de

mal que dans ton doute, qui peut mener d'autres à la négation; et pourtant tu publies ton doute. Tu es donc inconséquent en raisonnement et en morale à la fois; tu prends évidemment le plus mauvais parti pour toi, comme pour les autres. Diderot, tu disais à Rousseau': Quoi! vous croyez en Dieu, et vous porterez ce crime à son tribunal! Ne pourrait-on pas te dire : Quoi! vous croyez Dieu possible, et vous ne craignez pas de porter devant lui le crime d'avoir publiquement mis en problème ce que vous-même reconnaissez être le principe de tout bien moral! Mentita est iniquitas sibi : L'iniquité a menti contre elle-même.

« Si j'ai péché quelquefois contre ma raison ou » contre ta loi, j'en serai moins satisfait de ma » vie passée, mais je n'en serai pas moins tran» quille sur mon sort à venir, parce que tu as ou » blié ma faute aussitôt que je l'ai reconnue. »

On a poussé l'extravagance jusqu'à reprocher en même temps aux chrétiens des idées outrées de la miséricorde de Dieu, faites pour rassurer les coupables, et des idées également outrées de sa justice, faites pour porter le désespoir dans les cœurs; et l'impossibilité d'accorder deux reproches qui se détruisent nécessairement l'un par l'autre suffit pour justifier la religion, et arguer

Lorsque Rousseau l'accusa faussement d'un abus de confiance dont Diderot était justifié par des témoignages irrécusables. (Voyez les Confessions.)

d'ignorance ou de mauvaise foi ceux qui la calomnient. Mais que n'aurait-on pas dit, et pour cette fois avec raison, si jamais un chrétien avait fait si bon marché de la clémence de Dieu aux dépens de sa justice? Grâces au ciel, il n'y en a pas un qui se pique de cette grande tranquillité de Diderot. C'est quelque chose sans doute de reconnaître sa faute; c'est par où il faut commencer : et Diderot en parle comme s'il n'y avait rien de plus commun. Ce n'est pas du moins parmi nos philosophes, qui sûrement n'y sont pas sujets. Mais ne faut-il pas de plus repentir et réparation? Diderot n'en dit pas un mot. Les lois humaines ne connaissent pas le repentir; mais elles exigent toujours la réparation, et celui qui met ainsi la justice divine au-dessous de la justice humaine connaît et juge l'une comme l'autre.

Je ne te demande rien dans ce monde; car le cours des choses est nécessaire, par lui-même, » si tu n'es pas, ou par ton décret, si tu es. »>

[ocr errors]

C'est trancher net. C'est dommage que l'idée de nécessité, très-compréhensible et métaphysiquement démontrée dans l'essence du premier principe, soit une absurdité gratuite, un mot vide de sens dans les autres êtres. Peu importe à celui qui ne veut rien prouver aux hommes, ni rien demander à Dieu : l'un vaut l'autre.

[ocr errors]

J'espère à tes récompenses dans l'autre.

1 Espérer à est un solécisme.

» monde, s'il y en a un, quoique tout ce que je >> fais dans celui-ci je le fasse pour moi. »

:

C'est peut-être la première fois qu'on a vou u étre récompensé de ne rien faire que pour soi; c'est une prétention toute philosophique mais elle suppose une générosité qui n'est pas du tout divine, car elle n'est pas raisonnable; et c'est précisément de ces hommes-là que Jésus-Christ a dit dans l'Évangile Ils ont reçu leur récompense, receperunt mercedem suam. Et cela est juste.

« Si je fais le bien, c'est sans effort; si je laisse » le mal, c'est sans penser à toi. »

Philosophe, vous êtes aussi conséquent dans vos prières que dans vos raisonnemens, comme s'il vous arrivait aussi souvent de prier que de philosopher. Tout à l'heure vous promettiez d'agir ́et de penser comme si Dieu vous voyait, et dix lignes après, vous ne pensez plus à lui. Ainsi vous ne pouvez pas, même pour Dieu, vous faire l'effort d'être d'accord avec vous, au moins dans la même page; et vous êtes sûr de faire le bien et de laisser le mal sans effort. Il me semble pourtant qu'il peut en coûter quelque chose pour l'un et pour l'autre, et c'est même cette espèce de force qu'on appelle vertu. Apparemment des philosophes tels que vous ne connaissent pas celle-là; mais vous nous permettrez aussi de croire qu'une vertu sì facile peut n'être pas très-sûre. C'était du moins l'opinion des anciens sages, qui avaient placé la

vertu in arduo, un peu plus haut que vous ne faites.

« Je ne saurais m'empêcher d'aimer la vérité et » la vertu, et de haïr le mensonge et le vice,

[ocr errors]

quand je saurais que tu n'es pas, ou quand je croirais » que tu es et que tu t'en offenses. »

Le dernier membre de la phrase est absolument inintelligible; car que peut signifier ce qu'on dit ici à Dieu : «Quand je croirais que tu es et que tu » t'offenses du mensonge et du vice, je ne saurais » m'empêcher de hair le vice et le mensonge. »> Pour qu'il y eût ici quelque sens, il faudrait que la croyance en Dieu, et la persuasion qu'il hait le mensonge et le vice, pussent, de quelque manière que ce soit, être unc raison pour qu'on ne les haisse pas. C'est une extravagance monstrueuse, et qui pourtant est formellement renfermée dans les paroles de l'auteur, au point qu'il est de toute impossibilité de leur donner un sens, si ce n'est celui-là ; et en même temps il est trop absurde pour être sa pensée. Que voulez-vous qu'on dise à des gens qui écrivent ainsi? Fiat lux. Mais comment ceux dont le métier était de faire la lumière sont-ils si souvent ténébreux?

« Me voilà tel que je suis. >>

Tel au moins que vous prétendez être. Ce serait bien le cas de vous rappeler le fameux connaistoi toi-même 1, que Juvénal dit être descendu des 1 E cœlo descendit Tr☎bɩ cɛavtóv. (Juv. Sat. 11, v.

1

27.)

« AnteriorContinuar »