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» Je ne dois donc rien qu'à moi; car, si j'ignore » comment j'existe, je suis sûr que j'existe pour » moi, pour mon bien-être avant tout; et par >> conséquent ce qui est bien pour moi est le seul » bien, n'importe aux dépens de qui, à moins qu'il ne puisse m'en arriver du mal; et je vous » ai fait voir que je n'ai rien à craindre. Je suis » le plus fort, le plus puissant; je puis tuer cet » homme et prendre sa dépouille, comme il pour» rait faire, s'il était à ma place; et je n'ai pas >> peur qu'il m'en arrive aucun mal, car c'est un prétre, un émigré. Que venez-vous me dire » pour m'en empêcher? Que peut-être un jour je » ne serai pas le plus fort, et qu'on me pendra? » Mais c'est un futur contingent très-incertain, » et le gain que je vais faire est présent, certain. >> Et me conseillerez-vous de balancer sur le choix? >> Cela ne serait pas raisonnable. Que me dites» vous encore, que, si je ne suis pas pendu, je >> serai méprisé, détesté? Détesté! que m'importe » tant que la haine est impuissante? Méprisé! » pourquoi? parce qu'on méprise le méchant (car » ce sont là vos paroles)? Mais qu'est-ce que le » méchant? - Celui qui fait le mal. Et qu'est>> ce que l'homme bon? — Celui qui fait le bien. -Eh! ne vous ai-je pas prouvé que je faisais >> mon bien? y en a-t-il un autre? que je n'avais » à craindre aucun mal; et y a-t-il un autre mal » pour moi que celui qu'on pourrait me faire?

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» S'il n'y a ni un autre mal ni un autre bien, » comme cela est dans vos principes et dans les » miens, que signifient ces mots de vice et de » vertu dont vous vous êtes servis avec moi? rien >> que des conventions sociales, comme mille au» tres. Et que me font des conventions sociales quand je fais mon bien, qui est pour moi le seul, et qu'on ne peut me faire aucun mal? » Qu'est-ce que le mépris dont vous me nienacez? L'opinion des autres? Pourquoi donc serait-elle » meilleure que la mienne? Si les sots me méprisent en répétant les mots insignifians de >> crime et de vertu, les gens d'esprit m'approu» veront pour avoir connu le seul bien réel, le » mien. De plus, mes chers philosophes, où avez » vous donc vu qu'on fût si méprisé quand on est » riche et puissant? Je serai très-certainement » très-bien traité de tous ceux que je verrai. Que >> me-font ceux que je ne verrai pas? Il ne vous » manquerait plus que de me parler de remords; >> mais vous ne l'oseriez pas il y aurait de quoi » rire; car c'est l'un de vous', qui m'a appris » qu'il n'y avait point d'autres remords que la » crainte du supplice, et je suis exempt de cette » crainte. D'ailleurs, quand il n'y a réellement » ni vice ni vertu, comme nous le savons tous, » il est clair que le remords est une chimère, un

1 Helvétius.

XVIII.

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» fantôme de l'imagination, un reste des idées » de l'enfance; et ni vous ni moi ne sommes ca» pables de donner dans ces niaiseries. Voilà bien » toute votre prétendue morale réduite au néant. »Ne m'en parlez donc plus, si vous ne voulez >>> pas que je vous croie assez imbéciles pour ne pas » vous entendre vous-mêmes, ou que je croie que vous voulez faire de moi une dupe. Plus de » morale, encore une fois, je vous prie, et venez » demain souper avec moi... au Luxembourg...

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Je défie tous les athées du monde de trouver une réponse à cet homme. Il n'y en a point pour eux dans la logique. Ce n'est pourtant pas que j'aille aussi loin que Rousseau, qui va toujours trop loin en tout, et qui nuit à la vérité plus qu'il ne la sert. «J'ai long-temps cru, dit-il, qu'on pou» vait avoir de la probité sans religion. Je ne le > crois plus. »Je crois que cela est possible, quoique fort rare, surtout si l'on donne toute l'étendue convenable à ce mot de probité, que l'on restreint d'ordinaire, et fort mal à propos, à s'abstenir du bien d'autrui. La probité véritable consiste à ne leser ni tromper personne en quoi que ce soit; et combien de gens, qui ne voudraient pas prendre la bourse de leur ennemi, prendront sans serupule la bourse de leur ami? Mais, dans tous les cas, un athée peut être un honnête homme selon le monde; c'est l'affaire de son éducation, de son caractère, de sa situation; mais il le sera, indé

pendamment de sa doctrine, et même malgré sa doctrine, qui certainement ne lui impose aucune espèce de devoir; et c'est de la doctrine qu'il s'agit ici. Les exceptions personnelles ne font rien du tout à la question; elle est résolue dès qu'il est démontré que, dans le système de l'athéisme, il n'y a aucune espèce de sanction pour la morale; et c'est ce qui ne peut laisser aucun doute. C'est en Dieu seul qu'est cette sanction. Il y a un autre juge pour celui que Dieu voit, que Dieu entend, et cette salutaire idée, dont il est si difficile et même presque impossible à l'homme de se défaire entièrement, ce serait la philosophie qui voudrait la détruire! Jamais aucun homme raisonnable n'accordera les honneurs de ce nom à la folie de l'athéisme. Objectera-t-on que cette sanction divine n'empêche pas qu'il n'y ait des violateurs de la loi? Oui, cette objection, toute puérile qu'elle est, a été de tout temps la dernière res source de nos adversaires. Qu'ils anéantissent donc aussi toutes les lois criminelles, car elles n'empêchent pas qu'il n'y ait des malfaiteurs 1. Comment peut-on se permettre des objections si plates, qu'il n'y a qu'à en tirer tout de suite la

↑ On reprochait au maréchal de Berwick sa sévérité contre les maraudeurs, et on lui représentait, comme ici, qu'il y en avait toujours, quoiqu'il ne leur fit point de grâce. Le général feignit de se rendre à leurs conseils, et promit de fermer les yeux. Plusieurs coupables furent ainsi

conséquence pour les réduire à l'absurde? C'est qu'on veut à toute force rejeter comme inutile toute autorité morale et religieuse. Le beau projet! il se manifestait de bonne heure chez nos bienfaisans sophistes, et c'est ce qui dictait à Diderot cette prière qui termine son Interprétation, et que par cette raison il n'est pas inutile de faire connaître ici.

Le commencement, tout-à-fait sceptique, ressemble à celle d'un philosophe de cette classe qui disait en mourant: Mon Dieu (s'il y en a un), ayez pitié de mon âme ( si j'en ai une). Celui-là, comme vous voyez, ne voulait pas aventurer ses paroles, et ne faisait rien que sous condition. Diderot dit à peu près de même: «J'ai commencé » par la nature, qu'ils ont appelée ton ouvrage, » et je finirai par toi, dont le nom sur la terre >> est Dieu. O Dieu! je ne sais si tu es; mais je penserai comme si tu voyais dans mon âme, » j'agirai comme si j'étais devant toi. »

Et moi, je dis avec le prophète : « O Dieu! votre » puissance a convaincu vos ennemis de men» songe1.» Je dis à Diderot : Si tu avais réfléchi

épargnés, et bientôt on s'aperçut que le prévot avait or. dre de ne point sévir. Au bout de huit jours, des compagnies entières étaient en maraude, et les conseillers philosophes furent les premiers à supplier le général d'en revenir à l'exécution de la loi.

1 In virtute tua mentientur tibi inimici tui.

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