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écrivain, même quand il ne paraît pas en abuser à dessein. Il veut expliquer la cause de nos erreurs en morale et en conduite, et il dit : « Si la >> volonté est aussi essentiellement destinée à choi» sir le bien que l'oeil à voir la lumière, d'où » viennent ces méprises fréquentes?... C'est que >> les erreurs de l'entendement en produisent dans >> les déterminations de la volonté. »

A coup sûr il ne dit pas ce qu'il a voulu dire: il veut parler de la tendance essentielle que nous avons tous au bien-être réel ou apparent. C'est cela seul qui est vrai; mais il est très-faux que la volonté (comme il le dit au même endroit, où il se répète en d'autres termes) soit invariablement déterminée à choisir le bien : ce serait l'attribut d'une créature parfaite. Notre volonté est généralement mue vers ce qui lui paraît un bien, et pas même invariablement sous ce point de vue, puisqu'il n'est point du tout rare que la passion choisisse ce qui lui paraît à elle-même un mal. Video meliora proboque, deteriora sequor 1; et jamais ce mot de Médée n'a été argué de faux. Or, la passion n'est autre chose que l'énergie de la volonté ; et si cette volonté peut être une erreur, la volonté n'est donc rien moins qu'invariable dans le choix du bien. L'explication qu'il en donne n'est pas aussi fausse; mais elle n'est

Ovide, Métamorphoses, VII, 20.

que partiellement vraie, et par conséquent trèsinsuffisante. Les erreurs de l'entendement égarent sans doute la volonté, et de là ce mot connu, que le crime est un faux jugement. Mais ce faux jugement vient tout aussi souvent de la volonté pervertie que de l'entendement aveugle : car, bien que l'un et l'autre soient des facultés très-distinctes de la substance qui pense et qui veut, toutes les deux agissent et réagissent continuellement l'une sur l'autre, et je penserais même qu'à tout prendre, la volonté, séduite sans cesse par les sens et l'amour-propre, porte dans notre esprit plus d'erreurs qu'elle n'en reçoit. Mais ce qu'il y a de pis, c'est que l'esprit, une fois obscurci de cette manière, devient plus mauvais encore que le cœur; il se fait l'avocat du vice, devient flatteur en devenant esclave, et se fait un jeu ou un devoir de justifier ce qu'au fond il n'approuve pas. Voilà nos orateurs de tribune, nos journalistes de révolution, nos sophistes de république : voilà l'homme.

Dans les paragraphes suivans, Diderot rassemble, et même avec autant de précision que de force, les preuves qu'on a données de la liberté de l'homme; et je ne l'observe ici que pour vous rappeler qu'il a fait depuis un livre entier pour la détruire, Jacques le Fataliste. Voltaire en a fait autant. Ces variations, cette perpétuelle versatilité sont un vice inhérent au métier de sophiste.

« L'homme est moins fait pour être parfaite»ment heureux dans cette vie que pour travailler » à le devenir. »

L'impossible n'admet ni plus ni moins. L'homme n'est point fait pour être parfaitement heureux dans cette vie ce serait donc une erreur que de chercher ce bonheur parfait, et surtout ce ne doit pas être celle d'un philosophe. La volupté des épicuriens et le souverain bien des stoïciens étaient également des illusions, l'une des sens, l'autre de l'orgueil; et, malgré les rêveries de ces deux sectes, la nature seule a pris suffisamment le soin de nous convaincre qu'il n'y a point de bonheur parfait dans cette vie. C'est, je crois, de toutes les vérités morales la moins méconnue, tant elle est démontrée par le sentiment de nos misères. L'auteur a naturellement l'esprit si peu philosophique, qu'il ne s'est pas aperçu que ses propres expressions attestaient cette vérité qu'il oubliait. Travailler à devenir heureux prouve clairement l'absence du bonheur, car personne ne cherche ce qu'il a ; et s'il faut le chercher dans cette vie, il est évident qu'il n'y est pas. S'il y était, s'il pouvait s'y trouver, il serait essentiel à notre être, et dispenserait de toute recherche. Aussi dans les livres saints, dépôt de toute vérité, le bonheur s'appelle toujours paix, repos, joie1; ce qui ex

1 '

Ils n entreront point dans mon repos... Entrez dans

clut toute idée de travail et d'effort. Ainsi, pour s'exprimer, je ne dis pas même en chrétien, mais seulement en philosophe, il fallait dire: «< Pour » être heureux, autant qu'il est possible, dans » cette vie, il faut travailler à le devenir parfai>>tement dans l'autre. » La vie de l'homme icibas serait une inexplicable inconséquence sans la vie à venir, et rien n'est inconséquent dans ce que Dieu a fait. On entrera plus avant dans cette idée à mesure qu'on aura plus de vraie philosophie.

Quoique celle de l'auteur soit, dans ce petit ouvrage, le pur déisme, il ne laisse pas d'y avoir inséré des propositions très-favorables à l'athéisme, et particulièrement celle qui est la thèse favorite des athées, en ce qu'elle repousserait, si elle était vraie, le reproche le plus général qu'on lui ait fait, celui d'ôter toute base à la morale. Il dit avec eux, et d'autant plus affirmativement, suivant l'usage, que l'assertion est plus fausse : « C'est une >> thèse incontestable que les lois naturelles sont » suffisamment munies de sanction par la raison >> qui les découvre, et par l'intérêt de les prati» quer. » L'auteur devait, d'autant moins adopter ici une pareille doctrine, qu'elle est l'opposé de celles des déistes, qui est celle de tout son livre;

» la joie de votre Seigneur... C'est ici le lieu de mon repos » pour toujours, etc. »

car ce sont les déistes eux-mêmes qui ont toujours soutenu, contre les athées, que, sans un Dieu rémunérateur et vengeur, la morale n'avait pas de sanction. Aussi Diderot, pour échapper à leurs argumens, commence par définir très-mal le mot de sanction, et rien ne met les sophistes plus à l'aise que définir mal.

« On entend par sanction le bien ou le mal que » le sujet craint ou espère du violement ou de >> l'observation de la loi. »

Non pas, s'il vous plaît. Ce que vous dites là est bien une suite de la sanction, mais non pas la sanction même : cela est très-différent, et la différence est très-importante. Je crois devoir appuyer sur la démonstration, quoiqu'il n'entre nullement dans mon plan de combattre en forme l'athéisme, sur lequel tout est dit en métaphysique depuis long-temps. Conclusum est. Mais il ne s'agit ici que de ses conséquences morales, et c'est une occasion de forcer les athées dans leurs retranchemens, où ils combattent contre un principe majeur, qui est la base unique, et heureusement indestructible, sur laquelle repose tout l'ordre moral de l'univers.

Et d'abord, pour rétablir les idées en définissant les termes, la sanction est le caractère d'autorité imprimé à une loi en raison du droit et du pouvoir qu'a le législateur de punir les réfractaires; c'est ce qui est rigoureusement renfermé dans

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